Opéra de Paris « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns. Une féérie orchestrale et une mezzo bouleversante, Anita Rashvelishvili.
Un sujet sacré, emprunté à la Bible, est, a priori, plus une matière d’oratorio que d’opéra. Au XIXè siècle, hormis le « Nabucco » de Verdi et une « Marie Magdeleine » (oubliée) de Massenet, puis l’immense « Salomé » de Richard Strauss personne n’ose une représentation profane du sacré. Et au XXè siècle hormis « Moïse et Aaron », d’ailleurs inachevé, de Schoenberg et « Saint François d’Assise » de Messiaen, le sacré est resté prudemment confiné dans le genre oratorio.
Saint-Saëns a longtemps hésité entre les deux formes et à voir, aux premier et troisième actes,la superbe démonstration orchestrale de Philippe Jordan et des chœurs de l’Opéra de Paris emmenés par José Luis Basso, on se dit qu’une version « concert », à la façon oratorio, aurait peut-être suffi à notre bonheur. Le premier acte « appartient » presque au chœur avec notamment le Chœur des Hébreux implorant à genoux le Dieu d’Israël, qui nous ramène à certaines Passions de Bach ou aux oratorios d’Haendel et Mendelssohn, précise Philippe Jordan dans le programme. Le début du troisième acte nous replonge dans cette ambiance sacrée avant que le chœur ne se transforme en une Bacchanale célèbre, un des « tubes » que cet opéra a transmis à la postérité. Visuellement la mise en scène de Damiano Michieletto commence par épouser cette austérité, avec des choristes d’abord invisibles, derrière une paroi grise avant que leur masse, aux couleurs sombres s’agite sous nos yeux. Un des bons points de cette mise en scène inégale, sa capacité à bien mouvoir le chœur. Les infinies variations orchestrales, donnant à chaque instrument ou groupe d’instruments ses tonalités fermes ou soyeuses font merveille. Maîtrise des voix chorales, souplesse orchestrale, minimalisme du décor et des couleurs : parfait ce début.
Une mezzo surdouée: Anita Rashvelishvili.
Aleksandrs Antonenko et Anita Rachvelishvili dans – © Vincent Pontet
Le deuxième acte met en scène les contradictions politico-religieuses et sentimentales du duo central avec la Dalila somptueuse de la Géorgienne Anita Rachvelishvili et le ténor letton Aleksandrs Antonenko qui résiste vaillamment à la manipulation de la Philistine. Le décor, une chambre meublée en style art nouveau, fin XIXè siècle, avec un lit central comme lieu de séduction. Avec un petit problème de direction d’acteurs : la séduction physique n’est pas au rendez-vous et les « acteurs », un peu « coincés » sur ce lit, peinent à nous convaincre de leurs élans contrariés. Par contre, vocalement, la force tranquille d’Anita Rachvelishvili, sensible dès son apparition au premier acte, se déploie irrésistiblement dans le duo central, avec un timbre d’une beauté inouïe et une souplesse voluptueuse dans touts les registres, grave, aigu et ce fameux registre moyen, souvent le point faible de nombre de mezzos. Révélation, pour moi, d’une mezzo internationale, riche d’avenir. Le mérite du ténor Antonenko est grand de ne pas disparaître face à cette force de la nature mais de puiser à ce duel une force qui lui manquait à son apparition du premier acte.
Quant à la Bacchanale du 3è acte menée par le chœur, qui marque la prise de pouvoir par des Philistins, » nouveaux riches » face aux Hébreux austères, son style hollywoodien m’a paru une parodie en forme de clin d’œil plus qu’une offense à une œuvre sacrée La déflagration finale couronnant la retrouvaille des deux amants : un peu simpliste.
Au total, le bonheur, grâce à Philippe Jordan, à la tête d’une phalange de musiciens raffinés, d’approfondir une partition beaucoup plus riche que ses tubes rabâchés. Et l’immense plaisir de découvrir en Anita Rachvelishvili, un talent nouveau d’une sombre beauté vocale.
Samson et Dalila, de Camille Saint-Saëns, m.e.s Damiano Michieletto, direction musicale Philippe Jordan
A l’Opéra de Paris jusqu’au 5 novembre
Christian Jade (RTBF.be)
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