• Théâtre  •  » Still  » ou  » St/ll  » de Shiro Takatani aux Halles de Schaerbeek : le bonheur.****

 » Still  » ou  » St/ll  » de Shiro Takatani aux Halles de Schaerbeek : le bonheur.****

Un des plus grands vidéastes mondiaux le Japonais Shiro Takatani
à Bruxelles. Incontournable!

C’est un monde étrange que celui de Shiro Takatani : les réalités sous nos yeux se dérobent pour mieux nous envahir via un écran géant qui amplifie leur dimension et leur mouvement, à la fois lent et obsessionnel. Soit, face à nous, une longue table « chicos », garnie seulement de rares assiettes king size et de quelques pommes. « Nature morte » géométrique, clin d’œil à Cézanne ? Le titre  » Still  » (comme « still life », nature morte en anglais) le suggère. Mais quelques personnages, presque figés, participent à cet étrange rituel de solennité d’abord glacée. Gare aux apparences : le mot  » St/ll  » n’est pas du tout « tranquille », amputé de son « i », coupé en deux par une barre /qui suggère et multiplie les contre/sens. Un peu sémiologique tout ça ? En cette année Roland Barthes (né en 1915) je lâche un peu le « romaniste » qui sommeille en moi, qui se souvient de L’Empire des signes. Barthes y examine le Japon sans exotisme, comme un « système » qui le passionne. Et paf, ce qu’il dit de la cuisine japonaise est un bon apéro pour comprendre  » St/ll  » !

 » Entièrement visuelle (pensée, concertée, maniée pour la vue, et même pour une vue de peintre, de graphiste), la nourriture dit par là qu’elle n’est pas profonde :… aucun plat japonais n’est pourvu d’un centre… tout y est ornement d’un autre ornement : …sur la table, sur le plateau, la nourriture n’est jamais qu’une collection de fragments, dont aucun n’apparaît privilégié par un ordre d’ingestion : manger n’est pas respecter un menu …mais prélever, d’une touche légère de la baguette, tantôt une couleur, tantôt une autre, au gré d’une sorte d’inspiration qui apparaît dans sa lenteur comme l’accompagnement détaché, indirect, de la conversation (…). « .

L’Empire des signes

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Et de fait tout part d’un repas en trompe l’œil où  » l’ornement d’un autre ornement semble le principe de base du récit/peinture. La magie du vidéaste-plasticien-cuisinier Shiro Takatani, dominant parfaitement la géométrie dans l’espace et la poésie dans l’esprit, nous offre des « fragments » savamment orchestrés. Non de nourriture mais de morceaux choisis de corps, immobiles ou mouvants, offerts sur une table ou inscrits dans la profondeur de paysages- géométriques ou baignés de brume. Le cuisinier inspiré cultive tour à tour la lenteur ou la perfection rythmique d’une danseuse, la lumière- pointue ou évanescente- Il se joue des contrastes noir-blanc, ou des harmonies de couleurs. La » touche légère de la baguette  » sur les plats c’est notre œil pivotant, guidé dans les profondeurs de l’espace par un système qui passe du réel- les tables, les objets, les corps, une immense flaque d’eau miroir- à l’imaginaire des effets vidéo. On est loin du simple jeu entre présence simultanée devant nous ou sur l’écran : le but du jeu est de casser cette paresse de l’œil, en y ajoutant des « décalages », des « effets spéciaux » pas du tout hollywoodiens, d’une beauté surprenante. L’histoire ? Pas d’histoire anecdotique » mais la surprise permanente de l’œil obligé de participer à cette construction dans l’espace. Dans ces tableaux d’une exposition la musique est l’autre appui qui multiplie les plaisirs. A consommer sans modération.

Attention : le rythme lent baigne la première demi-heure (sur une heure et demie) et peut incommoder un esprit occidental impatient. Au-delà, on est de plein pied dans cet  » empire des signes « .

 » St/ill «  de Shiro Takatani aux Halles de Schaerbeek jusqu’au samedi 24 octobre.

Christian Jade (RTBF.be)

 

 

 

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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