• Théâtre  • « Un cœur de pierre » (Daniel Keene) et « Un tramway nommé désir » (Tennessee Williams) : familles, je vous hais !

« Un cœur de pierre » (Daniel Keene) et « Un tramway nommé désir » (Tennessee Williams) : familles, je vous hais !

Étrange de traiter ensemble un monument  » baroque  » et naturaliste américain des années 50, le somptueux « Tramway nommé désir » et une œuvre minimaliste actuelle, « Cœur de pierre » de l’Australien Daniel Keene. Et pourtant, même si le premier est d’une esthétique « actor’s studio » chaleureuse et assumée et le second plutôt « bloc de glace » j’y ai senti une vibration commune due sans doute à des performances d’acteurs plus encore qu’à des prouesses de mise en scène. Dans l’un et l’autre cas on a affaire, sur scène à des  » loosers « , des perdants de la société. Agressifs et désespérés. Seuls et au bord de la folie.

Un tramway nommé désir :un superbe duo de jeunes actrices.***

Tennessee Williams est passé de mode -dommage- et son seul défenseur en Belgique Michel Kacenelenbogen en passe des versions souvent réduites à l’essentiel, plus proches de l’adaptation ciné que de la pièce d’origine. C’est donc un plaisir de retrouver ce « Tramway » au complet dans la version que nous en propose Stephen Shank, d’origine américaine, qui parvient à faire « résonner » l’anglais d’Amérique en français. L’espace du Théâtre de la Vie est remodelé pour nous mettre au contact des acteurs et nous faire ressentir, sans excès misérabiliste, la pauvreté du couple formé par Stella, son mari d’origine polonaise Stanley Kowalski et sa bande de copains un peu frustes, enfoncés dans les bas-fonds de la Nouvelle Orléans. Quand Blanche du Bois, sœur de Stella, débarque avec son arrogance aristocratique, sa garde-robe ostentatoire et ses fêlures profondes, c’est une tornade bavarde qui déferle sur le couple et détruira tout sur son passage. Mythomane, sainte Nitouche, allumeuse compulsive au passé trouble elle est une proie idéale pour le bel animal Stanley. Mais de déséquilibre en déséquilibre elle sombre dans la folie. Ce rôle sublime et complexe, interprété au cinéma par Vivian Leigh dans le film d’Elia Kazan est tenu avec une incroyable justesse par Audrey d’Hulstère dont la moindre inflexion est lourde de cette folie qui guette. Sans pathétique, sans excès naturaliste, avec la finesse d’un personnage tchékhovien, Audrey nous donne une performance au-dessus de la moyenne. Le mérite de sa sœur Stella, plus effacée, tenu par Céline Peret, n’en est que plus grand : simplement exister face à cette tornade tient du miracle. Stanley, tenu par Stéphane Pirard est un peu moins convaincant dans son rôle de brute mais tient la route. Soulignons les mérites du Théâtre de la Vie, une petite structure qui programme 7 acteurs pour la deuxième fois cette année. Quant à Stephen Shank, sa scéno et sa direction d’acteurs donne sa fluidité à l’ensemble.

Au Théâtre de la Vie, jusqu’au 23 janvier. http://www.theatredelavie.be/

 

« Cœur de Pierre », de Daniel Keene : une épure raffinée du malheur ***

– © Véronique Vercheval

La mise en scène de Mathias Simon joue l’épure en s’appuyant sur une belle scénographie géométrique de Vincent Lemaire, qui casse l’éventuel naturalisme des situations, et les lumières de Xavier Lauwers, sculptant les angoisses de ses contrastes. Il y a là trois  » situations  » de marginaux largués par la société et dont le noyau affectif, la famille, les amis, loin de les aider les enfonce dans une solitude existentielle absolue. Un tailleur de pierre perd son emploi et crac, il perd le respect de lui-même et l’amour de femme et enfant. Dans cette première pièce courte les personnages oscillent entre déchirure et plainte. On dirait du Pommerat la violence en moins. Olindo Bolzan, puissance contenue, y est plus émouvant face à son chien, de paille, que face à sa femme ou sa fille. Le deuxième épisode, entre une mère et sa fille, m’a laissé en marge, tant l’élocution des actrices laissant tomber systématiquement la voix m’a rendu le texte ardu, sauvé par le surtitrage en néerlandais. Entre les scénettes de tonitruants intermèdes vidéo des acteurs en gros plan noir et blanc jouent le contraste silence/rugissiment sans convaincre. Enfin le troisième épisode est une scène d’anthologie entre deux laissés pour compte où brusquement le dialogue entre humains se rétablit avec un côté Beckett, Vladimir et Estragon, que Olindo Bolzan et Raven Rüell jouent à la perfection.

Au total un beau projet qui nous révèle un auteur à approfondir, Daniel Keene avec des acteurs masculins au top même s’ils sont parfois forcés de jouer  » a minima « .

Au Théâtre National, jusqu’au 23 janvier. www.theatrenational.be

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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