• Théâtre  • « Si tu me survis » (Clinic Orgasm Society).Ciel ! Moi, dans 30 ans ! Une angoisse comique. ****

« Si tu me survis » (Clinic Orgasm Society).Ciel ! Moi, dans 30 ans ! Une angoisse comique. ****

Vous avez passé, en couple ou en amitié, plus de 10 ans de vie commune. Passions partagées, créations au quotidien, émulation excitante, corps dispos. L’amour et l’amitié sont des habitudes …réussies. Qui vous aident à surmonter les horreurs d’une société scotchée à l’angoisse : attentats, réchauffement climatique, restrictions budgétaires, pensions incertaines, chômage assuré avec expulsion de ce statut bientôt… garantie. L’angoisse sociale est bien là, compensée par la douceur de l’amitié, mais imperceptiblement s’insinue un petit brouillard persistant : l’angoisse de la quarantaine. Ca va, on n’est pas trop mal conservés, on n’est qu’à la moitié de notre espérance de vie statistique. Notre corps ? pas mal. Notre esprit ? Mmm, quel beau laboratoire ! Mais… dans trente ans ? Encore ensemble ou tu seras mort/morte ? Ou pire, diminué(e). Quid …si tu me survis ?

Autobiographie assumée

Ludovic Barth et Mathylde Demarez, cofondateurs de cette compagnie punko-surréaliste, la Clinic Orgasm Society, ne s’en cachent pas : depuis leur premier spectacle magique au titre aussi fou que leur compagnie ( » J’ai gravé le nom de ma grenouille dans ton foie «  (2005)), ils n’ont plus rien créé d’aussi intime, « autobiographique ». Mais alors que la « Grenouille » noyait le poisson sous la fable, ici ils passent aux aveux : ce couple de performeurs/créateurs angoissés, c’est eux. Ils sont bien là sur scène dans une partition à quatre corps, jouant sur pas moins de 3 temporalités (20/40/70) Ludovic et Mathylde, la belle quarantaine, face à un jeune couple (des acteurs de 20 ans) censé les représenter dans trente ans, plus de 70 ans donc ! Un théâtre d’anticipation ? Non pas : le théâtre est artisanal et l’anticipation y paraît « cheap », bon pour les blockbusters américains. Une « tranche de vie » ? Que nenni, tout sauf ça pour un théâtre ouvertement expérimental, donc laboratoire.

Scéno et musique, comme des personnages.

Alors quoi ? Ludique comme Ludo, et pluridisciplinaire, mots fétiches de la Clinik. Concrètement ? Ludovic Barth est d’abord un plasticien et sa scéno volontairement grunge est comme un tableau mouvant et poétique, ambiancé par Davis Lynch, bon créateur d’angoisses. A l’arrière, une petite cabane, cerveau et moteur des actions, où se mélangent présent, passé, futur. Au centre, une curieuse forêt. A droite une immense table à imaginer des actions et des personnes. Le texte, créé sur le plateau, a ses platitudes stylisées, travaillées par Marielle Pinsard pour en accentuer l’absurde comique. Un texte qui favorise une partie de ping pong entre les quadras actuels qui projettent leurs angoisses à trente ans et les jeunes septuagénaires qui jouent la nostalgie du souvenir avec des corps jeunes donc encore vigoureux. Mélange des genres comique.Comme si les quadras avaient besoin de projeter un espoir : la vie ne sera pas si moche, pas sûr qu’on soit détruits.

Mélancolie active et humour anti-poison.

Alors, comment un spectacle peut-il tenir debout sans fil conducteur narratif ? Outre le jeu sur l’angoisse et la mélancolie, il fait constamment appel à notre imagination et à notre mémoire, musicale notamment. De Sardou à Pink Floyd, de Terminator à Purcell en passant par The Cure, la mélancolie « active » circule. La musique et la scéno sont des acteurs à part entière. Quant aux acteurs/concepteurs, Ludovic Barth et Mathylde Demarez ils sont au sommet de leur forme physique et mentale. On aperçoit même Ludo, promenant au final sa silhouette de tennisman dégingandé, façon Mon Oncle de Tati ! Mais les balles manquent de punch !

Et les « jeunes vieux », (Thymios Fountas et Judith Ribardière), portant un masque imitant les traits vieillis de leurs…cadets, nous entraînent souvent dans le comique de situation : au fond, qui est jeune, qui est vieux dans ce quatuor? Ajoutez quelques gags pour alléger la pâte et vous aurez un spectacle « expérimental » à la portée du grand public. L’angoisse de la quarantaine et au-delà (pas trop  » au-delà  » des 70, please) nous concerne tous, non ?

 » Si tu me survis « , au Varia, jusqu’au 6 février. http://varia.be/

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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