• Théâtre  • « Warda » (Sébastien Harrisson) : un tapis volant à la frontière des sexes ***

« Warda » (Sébastien Harrisson) : un tapis volant à la frontière des sexes ***

L’idée de départ de Warda explique son metteur en scène Michael Delaunoy, c’était de raconter l’histoire d’un homme qui trouve sur sa route un tapis, parcourt le monde (comme dans les légendes de tapis volant) et s’en trouve transformé. Une sorte de parcours initiatique, mi réaliste, mi-symbolique.

La première scène voit arriver à Londres un trader canadien, Jasmin, qui se laisse détourner de son  chemin par Hadi, un  marchand de tapis belgo musulman qui ajoute une touche de séduction au jeu de la vente. Ce tapis de soie et de laine est d’abord un objet sensuel à parcourir à pieds nus. Il  est aussi un objet symbolique: son dessin reproduit le jardin du monde avec ses points cardinaux  et sa fontaine centrale. Et les plus beaux jardins mythiques ce sont évidemment  » les jardins suspendus de Babylone « , mystérieusement disparus alors qu’ils étaient une des 7 merveilles du monde. Offerts par Nabuchodonosor II pour complaire à son épouse ils étaient si hauts qu’ils touchaient le ciel. Le jardin comme aspiration à l’infini ? Au 7è ciel ?

 Le tapis « volant » fera se rencontrer vers la fin Hadi et Jasmin à… Bagdad dans une scène de séduction plus  » trash « et explicite. Entretemps Jasmin aura rencontré à Paris Lily, une étudiante fan du philosophe Michel Foucault et de ses » hétérotopies « , des lieux de passage qui introduisent le rêve dans la réalité. Enfin l’on retrouve Lily déguisée en… Foucault à Bagdad au moment où Hadi, nu, rêve d’une « partie à trois » que Jasmin esquive.

Une intrigue complexe, jazzy, savoureuse.

Hubert Lemire et Salim Talbi dans

Hubert Lemire et Salim Talbi dans – © Alessia Contu

 Expériences, hésitations, ambiguïtés, voyage imaginaire dans l’espace/temps compliqué tout ça ? A le raconter, oui. A le vivre dans la salle…et sur scène non. Souplesse du récit, clarté de la mise en scène de Michael Delaunoy, qualité des acteurs belgo-québécois : on vogue avec de solides balises.

Le Québécois Harrisson a une façon très… anglo-saxonne de construire des actions, de tisser des dialogues, de dessiner des situations qui chevauchent les réalités la plus triviales (une vente de tapis, une  quasi partouze, un contexte d’attentat terroriste). En même temps il insinue, avec beaucoup de fluidité, des interrogations  sur nos frontières (sexuelles, spatiales, temporelles) dont le philosophe Foucault est le point central. Le thème du tapis permet un voyage dans l’espace (d’Occident en Orient) et dans le temps (de Bagdad à Babylone) et transforme petit à petit le voyage en conte philosophique. Enfin une mystérieuse écrivaine flamande Anneleen prend le public par la main, de scène en scène, pour nous  guider dans ce dédale : c’est à la fois une humoriste et l’auteur d’un conte, « l’art du nouage », qui se déroule à Babylone et introduit Warda (Rose en arabe), une petite fille de tisserand trop curieuse qui provoque l’effondrement des fameux jardins suspendus ! L’art de tisser serait-il proche de l’art d’écrire ? Rien n’est affirmé, tout est insinué. Mais cette partition jazzy  nous laisse sous le charme.

Une mise en scène lumineuse.

Michael Delaunoy a eu la bonne idée de « traduire » ce texte baroque dans une scénographie  lumineuse et épurée de Gabriel Tsampalieros: une grande porte, une fenêtre (l’ouverture de scène), un tapis monocolore, un lit, d’énormes bouquets de fleurs permettent de passer d’une ville à l’autre, d’une situation à l’autre sans effort et en gardant à l’’esprit la symbolique de base. Cet art pauvre permet aussi de nous  centrer sur l’essentiel : le jeu de ces acteurs  belgo-canadiens multilingues qui font joliment résonner l’anglais, le français et même des bribes de flamand. Mieke Verdin, dans le rôle d’Anneleen ponctue son discours de savoureuses exclamations en « moedertaal ». Le Belgo- Marocain Salim Talbi, une découverte, donne au rôle de Hadi une sensualité moqueuse. Les Québécois Hubert Lemire et Violette Chauveau assument joliment leurs rôles ambigus.

On sort de là avec plus de questions que de réponses, ce qui est le but du jeu. La lecture ultérieure du texte de Sébastien Harrisson, avec son petit conte additionnel  » L’art du nouage  » (éditions Lansman) achève de vous convaincre de la qualité du texte entendu.

Warda, de Sébastien Harrisson, au Rideau de Bruxelles jusqu’au 4 mai.

Christian Jade (RTBF .be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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