• Théâtre  • « Ces enfants-là » de Virginie Jortay. L’inceste maternel dévoilé. Une mise à distance rageuse et forte.

« Ces enfants-là » de Virginie Jortay. L’inceste maternel dévoilé. Une mise à distance rageuse et forte.

Critique : ***/4
Son récit autobiographique « Ces enfants-là », paru il y a deux ans, nous avait frappé par sa violence de pamphlet au style agressif quasi obsessionnel accusant une mère d’inceste et un père d’irresponsabilité. Une sorte de « Vipère au poing » au féminin à la Hervé Bazin dont l’héroïne, Folcoche, cruelle et manipulatrice, incarnait la mère abusive pour les gamins des années 50/60. Abusive mais pas incestueuse. Ou encore « Portnoy et son complexe » de Philippe Roth, drôle et sarcastique, qui fit scandale dans les années 70 avec une mère castratrice essayant de cadrer la sexualité débordante de son ado. Castratrice, réactionnaire mais pas incestueuse. Depuis lors l’inceste paternel ou masculin est largement dénoncé, l’inceste maternel rarement.

La transposition de « Ces enfants-là » au théâtre posait un triple problème : comment réduire 300 pages en 30 et ne pas perdre l’essentiel ? Comment incarner la narratrice qui subit et les 25 témoins/protagonistes responsables de ses souffrances ? Et surtout comment exposer ce tabou absolu, impensable, l’inceste entre une mère… et sa fille ? Ces trois défis sont relevés et réussis par Virginie Jortay et ses deux actrices, Anne Sylvain et Janine Godinas. 

Les 300 pages, devenues 30 brèves scénettes, reprennent dans l’ordre chronologique la prise de conscience d’une enfant de 5 ans jusqu’à une ado de 19 ans, qui assume son homosexualité et trouve son salut dans la fuite. Avec des sous-titres factuels ou ironiques, à la Brecht, apportant de la clarté à un récit touffus. Comme support visuel un décor « sixties » et une TV omni présente qui donne le décor sonore de l’époque, du Jardin extraordinaire à Michel Fugain. Virginie Jortay a réussi à garder la clarté de la narration assumée par Anne Sylvain et la véhémence des indignations, souvent confiées à Janine Godinas. 

Ce dédoublement, ce jumelage entre une actrice dans la cinquantaine, l’âge de l’autrice et une grand-mère ridée de l’âge de sa mère n’est pas du tout exploité de manière réaliste. Pas mère et fille donc. Les deux actrices recherchent toutes deux en elles l’enfant malmené, en s’aidant parfois d’une poupée, 3 e incarnation pour les passages les plus durs. Cette structure permet de passer à travers ce temps long : plus de 30 ans depuis les faits évoqués, et 14 ans entre l’enfant et l’ado.

(c) Marie-Francoise Plissart

  Le tabou de l’inceste inter féminin. Un traitement clair et délicat.

Reste le problème majeur, le tabou de l’inceste a fortiori de mère à fille. 

Comment accuser sa mère quand on est soi-même femme et féministe ? Virginie Jortay s’explique dans le dossier de presse. L’inceste maternel est un impensé. Donc impensable. J’ai toujours su que j’avais grandi dans un climat incestuel…(Mais) pour moi il était hors de question d’enfoncer cette femme elle-même victime du patriarcat. Cette mère était à la fois bourreau et proie, oscillant d’une position à l’autre… Ce n’est que lorsque cette mère a tenté de reproduire ses abus sur mes propres enfants, que je n’ai plus pu les ignorer.

Reste que les preuves de l’inceste entre femmes, sans pénétration, sont souvent induites, visibles indirectement dans des « petits faits vrais » qui instaurent un « climat ». L’incroyable curiosité de la mère pour la « bouboule » de sa fille qu’elle essaie de faire corriger par un médecin. Son plaisir à l’exhiber jeune, malgré elle, face à ses amis nudistes et échangistes. Son voyeurisme face aux partenaires, masculins ou féminins de l’adolescente. Et le partage avec un ami du mari, son amant.

Au total une épure intense d’une heure trente, dépouillée et précise, où les protagonistes parviennent à évoquer 15 ans de souffrance d’une gamine sous influence et la caricature du milieu progressiste soixante-huitard où il était interdit d’interdire. Quasi un conte philosophique. Une réussite.

-Au Théâtre National jusqu’au 9 décembre

– A la Cité Miroir (Liège) du 9 au 13/1/24 

-Au Central (La Louvière) du 23 au 25/01/24

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