« L’œil, l’oreille et le lieu ». Une chorégraphie au cordeau de Michèle Noiret sur le monde fascinant des insectes***
C’est quoi un insecte pour vous ? Moi c’est une guêpe qui m’a piqué au ventre, gamin- l’angoisse toujours présente-, des nuées de criquets pèlerins qui ravagent les récoltes en Afrique mais aussi ces libellules élégantes aux ailes transparentes et multicolores qui survolent les eaux dormantes. Bref un mélange ambigu d’attraction-répulsion, qui creuse profond dans la tête et que Michèle Noiret met en mouvement avec sa technique éprouvée de cinéma danse.
Son angle d’attaque c’est la disparition des insectes, conséquence de nos campagnes d’extermination actuelles. Dans un laboratoire du futur un savant repère les espèces disparues et nous les donne à voir. Un point de départ écologique qui permettra de projeter de fascinants gros plans de ces bestioles mythiques, belles et inquiétantes, en dialogue permanent avec deux remarquables interprètes, Sara Tan et David Drouard, qui, revêtus des mêmes uniformes noirs unisexes s’insinuent dans les gestes, attitudes et obsessions des insectes.
Mais le charme d’une chorégraphie de Michèle Noiret n’est jamais dans l’affirmation ou la démonstration mais dans l’insinuation et l’ambigüité : elle joue sur plusieurs tableaux, mêlant au moins trois plans dans l’espace : les danseurs sur le plateau, leur projection en gros plans sur l’écran et le jeu sur l’écran entre des vidéos pré-enregistrées d’insectes et ces projections de danseurs. Qui est qui finalement ? Qui imite qui ? Le thème de la métamorphose, la chrysalide toujours recommencée, de la menace de l’araignée en sa toile, des combats d’amour ou de pouvoir sont communs aux deux mondes, des insectes et des hommes. La projection de nos peurs sur ces insectes aux apparences guerrières obéit à une logique d’angoisse intime relancée alternativement ou simultanément par la bande son de Todor Todoroff, la création vidéo d’Aliocha Van der Avoort ou les images produites en direct non par des caméras mais des smartphones manipulés par les interprètes eux-mêmes. Etonnante performance collective qui semble parfois tenir à un fil, menace de nous égarer dans de beaux labyrinthes pour mieux nous reprendre au passage. Et nous plonge dans une belle logique de l’irrationnel maîtrisé, qui est la clef de voûte du monde de Michèle Noiret.
Etonnant que cette commande pour de jeunes publics ne soit jamais didactique et que l’exigence d’un spectacle limité à 55 minutes intensifie la démarche.
« L’œil, l’oreille et le lieu ». A voir au Théâtre de Liège les 9 et 10 novembre dans le cadre du Festival Forum sans transition.
Photos par Sergine Laloux