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Aix-en-Provence 2016.Triomphe du baroque: Haendel, Warlikowski, Haïm: le trio gagnant.

A Avignon, on célèbre la gloire d’un jeune prodige de la mise en scène, Julien Gosselin, 29 ans, déjà flamboyant il y a trois ans, à 26. A Aix on ressuscite un oratorio d’inspiration « jésuite », composé à 22 ans par le génial Haendel. 3 heures de pure jouissance musicale sous le regard  » critique  » du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski. Mais au lieu de nuire à la partition cet angle décalé ajoute à l’émoi musical une beauté plus aigüe.

C’est un oratorio, genre austère, en principe, qui devait servir à l’édification des fidèles catholiques obligés de réfléchir à la vanité de l’amour, à la perte progressive de la beauté, à l’inutilité du plaisir qui ne produit que désenchantement. Le titre est tout un programme:  » Il Trionfo del Tempo e del Disenganno »: le Triomphe du Temps et de la Désillusion …sur la Beauté et le Désir. Tout ça pourrait être d’un ennui mortel si…la musique du jeune Haendel ne disait exactement le contraire du message officiel, le livret du commanditaire, le riche cardinal Pamphili. Rarement l’amour et le désir auront  été aussi convaincants, comme si le jeune Georg Friedrich, par les superbes vibrations des timbres et les virtuosités sensuelles des vocalises prenait à contrepied les ordres de son maître. Il y a bien progressivement une mélancolie qui gagne mais l’air final de la Beauté est une apothéose qui n’a rien de mortel. Et l’oratorio fourmille d’hommages implicites à la beauté, du jeune homme comme de la jeune femme d’ailleurs, incarnée avec grâce par la soprano Sabine Devieilhe, aux inflexions bouleversantes. On a l’impression que le cardinal Pamphili se jouait, via Haendel le coup de Tartuffe « cachez ce sein (ou ce jeune homme) que je ne saurais voir « . Et qu’il ne croyait pas un traître mot à son sermon d’ailleurs plein de grâces poétiques.

En tout cas Warlikowski s’engouffre dans toutes les brèches du texte pour faire un éloge grandiose de la Beauté, féminine et masculine et du Désir, incarné par le vibrant contre-ténor Franco Fagioli. Et une caricature du Temps et de la Désillusion, sous forme d’un vieux  » couple  » aigri et caricatural, splendidement incarné, par le ténor  » barytonisant  » Michael Spyres et la contralto Sarah Mingardo. Assis à une table pour engouffrer un maigre festin ils finissent par s’éloigner laissant la place à l’air final de la Beauté qui ne peut évidemment que faire l’unanimité c’est le triomphe, musical et visuel de la « vaincue », la Beauté, platonicienne ou pas !

Krzysztof Warlikowski et Emmanuelle Haïm, complices d’une belle réussite.

– © Pascal Victor

 

On aurait pu se contenter d’assister à une version concert qui nous aurait fait frémir de plaisir. Avec Emmanuelle Haïm, à la splendide crinière rousse, soulevant avec un enthousiasme communicatif  son orchestre l’Astrée, dans des vibrations haendéliennes infinies. Et donnant aux chanteurs des impulsions décisives. Et ce plaisir là, on l’a eu.

Mais les effets miroirs, les dénudés discrets, les figurants aux couleurs raffinées, occupant des sièges en miroir de la salle,l’usage modéré de la vidéo, cette scénographie efficace, pertinente de Warlikowski nous a séduits. Surtout l’amour des corps, le contraste entre l’ode à la vie des jeunes et le plaidoyer ronchon des vieux, toute cette mise en espace et cette direction d’acteurs/chanteurs sont remarquables. Dans le programme Warlikowski hurle contre le pouvoir de l’Eglise, avec son retour effrayant dans sa Pologne natale. Il sait de quoi il parle. Mais je n’ai pas trouvé que sa mise en scène  « jurait »  avec le texte et surtout pas avec la musique.. Il donne vie à un oratorio dont on n’aurait même  pas entendu les paroles, seulement bercé par ses stupéfiantes vocalises. Et il sculpte le corps de ses chanteurs, donnant en particulier à Sabine Devieilhe une aura inoubliable. Il retourne le gant et fait triompher la Beauté et le Désir, dans les faits. Je ne suis pas sûr que le coquin de Cardinal Pamphili ne pensait pas comme lui. Mais dans la Contre Réforme, fallait dire à haute voix le contraire de ce qu’on pensait, pas vrai ? Galilée en savait un brin qui devait murmurer  » E pure si muove « . Il parlait de la Terre.  » Et pourtant elle tourne ». Comme le Désir. Et comme la Beauté. Qui tournent et nous retournent. Perpetuum mobile. Le mouvement perpétuel.

Il trionfo del Tempo e del Desinganno de G.F Haendel, m.e.s de Krzysztof Warlikowski, direction musicale Emmanuelle Haïm.

A Aix jusqu’au 14 juillet.

Diffusé le 6 juillet sur France Télévisions et France Musiques. À ne pas rater en cas de reprise TV ou radio.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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