• Opéra  • « Les Contes d’Hoffmann ». Le Monde est Star, Hollywood est son Roi, Warlikowski son Prophète. ***

« Les Contes d’Hoffmann ». Le Monde est Star, Hollywood est son Roi, Warlikowski son Prophète. ***

Au départ un poète romantique allemand E.T. Hoffman, dont les contes jouent sur le fantastique des situations, l’inquiétante étrangeté des âmes et le romantisme du poète qui noie souvent ses tourments amoureux dans l’ivresse.

Critique :***

Puis Jacques Offenbach, après la chute de Napoléon III, ambitionne de composer un grand opéra qui dépasse le savoir-faire qui l’a rendu célèbre et populaire : l’opérette « à la française » qui caricature joyeusement la Cour Impériale, de « La Vie Parisienne » à « La Belle Hélène ».  Dans « Les Contes d’Hoffmann », le héros est un poète amateur d’alcool et obsédé par ses échecs amoureux. Dans la taverne Luther, surveillé par sa Muse et moqué par une bande d’étudiants, Hoffmann attend sa dernière conquête Stella, une Diva qui le fait souffrir et qu’on ne retrouvera qu’à l’épilogue. Les trois actes seront autant de flash-back sur trois échecs amoureux cuisants dont Stella, est la synthèse. Olympia la femme automate, une illusion diabolique dotée d’une voix suraigüe et qui s’effondre, débranchée par son créateur. Antonia, la cantatrice affectée d’une malédiction : si elle chante elle meurt, comme sa mère : le diable y veillera. Et Giulietta, une courtisane vénitienne, manipulée et manipulatrice, qui lui vole son reflet pour se venger des hommes qui la méprisent. Trois échecs passés et quand Stella arrive au café Luther, noyé dans l’alcool et le chagrin il ne la reconnaît pas.  Reste la Muse, symbole de la création poétique.

Warlikowski, amoureux lucide du star system

– © Bernd Uhlig /La Monnaie

Warlikowski transpose cette histoire romantique, dramatique et parfois drôle, dans le monde d’Hollywood. Il centre l’action sur un chanteur/manager ivrogne mais fougueux qui veut modeler ses trois conquêtes et rate chaque fois sa cible. Mais en toile de fond, sur un écran escamotable c’est bien la même femme, le beau visage de Patricia Petitbon qui incarne LA vedette hollywoodienne iconique de « A Star is born », Judy Garland, mais est aussi la projection de tous les fantasmes érotiques d’Hoffmann.

Parfois la démonstration tourne à vide avec des inserts en anglais dont une allusion anecdotique aux Oscars. Mais en général, la « machinerie » de Warlikowski impose petit à petit sa logique. On est à la fois dans un studio escamotable ou une copie de la scène de la Monnaie, en train de répéter les séquences d’un film dont Hoffmann serait le héros et l’organisateur. Mais aussi l’amoureux de son/ses modèle(s,) comme le poète Hoffmann racontait ses propres histoires d’amour ratées pour des cantatrices. La sombre taverne Luther devient un bar d’hôtel de luxe chic et lumineux. Les incarnations du diable prennent parfois les allures d’un… Joker très actuel, à la faveur du carnaval de Venise ou du philosophe Michel Foucault. Les allusions fourmillent, pas toujours évidentes !

Offenbach trahi ou plus actuel encore ?

– © Bernd Uhlig /La Monnaie

C’est l’éternel problème avec Warlikowski : il s’empare d’une œuvre pour y mettre ses codes mais ici l’œuvre n’en sort pas diminuée mais un peu plus désespérée, avec un humour plus cruel mais non moins efficace. Manque certainement un peu de légèreté souriante dont raffole le public traditionnel.

Toujours aussi efficace, la direction d’acteurs de Warlikowski magnifie tous les rôles à commencer par Hoffmann, incarné par Eric Cutler, un ténor à la voix royale et à la diction française impeccable. Cet énorme cow-boy, palpitant de vie et de présence scénique forme avec Patricia Petitbon un duo mémorable. La performance est plus remarquable encore pour la soprano française qui joue les quatre rôles principaux dont la colorature Olympia, l’automate. Elle renforce habilement sa parodie vocale rendant le super aigu, un peu… chancelant, plus drôle que pyrotechnique. Pour Antonia, Giulietta et Stella la tessiture est davantage « dans ses cordes » et son jeu toujours juste, quelle que soit la situation. La mezzo Michèle Losier incarne une Muse séduisante et impériale et les quatre rôles diaboliques trouvent dans la basse Gabor Betz une voix d’une totale sûreté et un jeu caricatural délicieux. Les décors et costumes de la complice habituelle Malgorzata Szczesniak sont une bain de jouvence coloré rappelant évidemment la référence principale « A Star is born ». Enfin, on se demande comment Alain Altinoglu fait pour rendre avec autant de justesse des univers aussi différents que Wagner, Beethoven ou Offenbach. Son amour précis de la partition, communiqué à l’orchestre et distribué aux solistes fait du public, chaque soir, une bande de fans émus et reconnaissants.

NB : à la Monnaie, on peut être sûr que la deuxième distribution est au moins à la hauteur de la première.

 » Les Contes d’Hoffmann  » d’Offenbach, mise en scène de K.Warlikowski

 

A la Monnaie, jusqu’au 2 janvier (complet).

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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