« Histoire du tsar Saltane » : un conte pour enfants qui émeut les adultes. ****
On ne monte pratiquement pas cet opéra de Rimsky-Korsakov en Belgique et c’est donc un immense bonheur de le découvrir dans la mise en scène de Dimitri Tcherniakov et sous la conduite d’Alain Altinoglu. Passer d’un « Tristan » sombre à cette fraîcheur colorée de la partition russe,avec la même rigueur souriante c’est le plaisir toujours assuré d’une soirée dirigée par le chef français de la Monnaie.
Tirée d’un conte de Pouchkine, l’histoire de ce petit tsar mélancolique et difforme, renié par son père, le Tsar Saltane est un classique aussi évident pour les enfants russes que le « Petit Prince » chez nous.
On y voit une histoire de famille avec deux sœurs jalouses de leur cadette qui a réussi à épouser le Tsar alors qu’elles en sont réduites à un rôle modeste auprès de la tsarine Militrisa. Elles profitent d’une absence du Tsar Saltane, parti guerroyer pour propager la fausse nouvelle que le petit tsar est un monstre difforme. La mère et l’enfant sont alors roulés dans un tonneau et jetés à la mer. Suivent une série d’aventures entre le réel et l’imaginaire. L’île où ils débarquent se transforme à vue en une ville somptueuse. Un oiseau -cygne se métamorphose en amoureuse bienveillante qui mène Gvidon, transformé en bourdon dans la ville de son père le Tsar Saltane. De tout l’opéra de Rimski Korsakov, c’est le « tube » le plus connu, un air populaire délicieux. Ici, la mise en scène de Tcherniakov, aidé des vidéos de Gleb Filshtinsky donne à cette scène une beauté rêveuse, mêlée d’humour qui en fait un morceau d’anthologie, inoubliable.
Mais la vraie trouvaille du metteur en scène russe c’est le point de vue adopté d’emblée sur l’ensemble du conte. Au lieu de privilégier la piste classique du fils renié par son père, il place d’emblée, en prologue du premier acte, la mère, la tsarine déchue aux prises avec un enfant autiste, ce qui donne une explication « actuelle » à la « monstruosité » du petit tsar, un enfant comme les autres. Gvidon manipule des jouets symboliques qui annoncent l’action future. Lui et sa mère sont en costumes actuels alors qu’au premier acte les méchantes sœurs et la tante sont « coincées » dans d’immenses robes folkloriques qui les transforment en poupées russes un peu raides ! Au dernier acte au retour du Tsar Saltane dans la ville où règne désormais son enfant, tous les chanteurs ont retrouvé une allure moderne et souple, délivrés de leurs ornements archaïques.
Un fil conducteur autiste
Bogdan Volkov en Gvidon le petit Tsar dans – © Forster
Les scènes « autistiques » entre la mère et le fils qui rythment la première partie bénéficient non seulement d’une excellente direction d’acteurs mais d’une justesse vocale qui porte sobrement à incandescence la douleur d’exister. Le fils Gvidon, le ténor Bogdan Volkov et sa mère la soprano Svetlana Aksenova sont fascinants de justesse et de couleur vocale. Mais, comme toujours à la Monnaie, le casting n’a pas une faille. Et Alain Altinoglu est aussi convaincant comme « symphoniste » dans les intermèdes que comme « nuanceur » de voix pour les chanteurs. Les parties narratives ou les songes du petit tsar autiste, qui vit toujours entre rêve et réalité, sont parfaitement rendus par des dessins de Gleb Filshtinski qui évitent tout réalisme et flirtent toujours avec l’imaginaire, il rend ainsi évidente la mise en scène de Tcherenkov qui modernise l’histoire en restant fidèle à l’essentiel.
Le public de la Monnaie, plutôt froid n’est pas friand de « standing ovations ». Mais cette fois la joie répandue et l’admiration pour la, réalisation ont fait lever toute la salle. Et la rumeur favorable a entraîné rapidement un quasi « sold out ».
Une belle fin de saison parfois risquée dans ses choix mais qui dégage dans l’ensemble une impression d’excellence : Castelucci, Warlikowski, Olivier Py et Dimitri Tcherniakov la même saison : qui dit mieux ?
« Le conte du Tsar Saltane » de Rimski -Korsakov, à la Monnaie jusqu’au 29 juin (complet)
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