• Théâtre  • Chapelle des Brigittines : 4 solos féminins d’une beauté fascinante ****

Chapelle des Brigittines : 4 solos féminins d’une beauté fascinante ****

Imaginez « Alice » vivant ses rêves au travers d’un drôle de miroir comme un carré magique, boîte à fantasmes.  « Pénélope » transformée en toupie vivante autour d’un piquet imaginaire. Sara Tan, alias Michèle Noiret, accrochée à sa « Vertèbre » sur une table minuscule où le corps en équilibre multiplie les perspectives avec une souplesse diabolique. Les fantasmes de Balthus ressuscités par Pierre Droulers et incarnés par Malika Djardi. Ces solos de 20 à 35 minutes composent un hommage émouvant au corps féminin décliné en quatre « blasons » merveilleux d’intelligence sensuelle.

« Alice » de Shantala Pèpe. Des hallucinations très graphiques.

– © Andrea Messana

Alice Shantala dite Shantala Pèpe est adoptée depuis l’automne par la Compagnie Mossoux-Bonté tout comme jadis Karine Pontiès ou Isabella Soupart. Son « Alice » s’inscrit dans leur univers où fantasme et réalité cohabitent, se mélangent parfois et proposent un voyage très étudié où le spectateur prend plaisir à se perdre. Lewis Caroll est le point de départ d’un jeu avec un carré blanc lumineux, un miroir qui permet de traverser l’espace physique et de poser le corps dans un espace imaginaire très concret : « il se confond, dit l’artiste, avec les ailes d’un oiseau, se fait table mouvante, brille comme un astre et se referme inéluctablement comme un piège ». Le corps de la danseuse à partir de situations très concrètes nous emporte dans son aventure rêveuse, hallucinée en s’appuyant sur un dispositif sonore et lumineux précis et suggestif d’Hugues Girard. Cette ballade onirique a le charme puissant du rêve éveillé.

« Vertèbre » de Michèle Noiret. La beauté de la métamorphose.

– © Sergine Laloux

C’est un des solos « fondateurs » de Michèle Noiret , datant de 1989, trente ans et pas une ride. Avec le plaisir de la transmission, nous confie-t-elle à l’entr’acte. Entre elle et son interprète Sara Tan, originaire de Singapour et passée par PARTS une énorme complicité s’installe sur le thème de la métamorphose (de l’insecte à la femme et réciproquement) et de l’équilibre instable du corps appuyé sur une fragile table basse. On assiste à une double performance, le rythme incroyablement rapide et précis d’un corps qui « bat de l’aile » et le passage de l’insecte confus à la femme érotisée qui déploie sa beauté secrète. On se réjouit d’apprendre que Michèle Noiret a adopté son interprète pour ses nouvelles créations. Cette « re-création »-ci  est magique.

« Pénélope » de et par Lisbeth Gruwez. Un tournis sublime sur le féminin pluriel.

– © Dany Willems

Magique aussi, cette Pénélope, contre-point féminin à une « Odyssée » très masculine proposée au KVS (24 heures de spectacle). Un solo conçu comme un hommage non seulement à Pénélope mais à toutes les femmes de l’Odyssée, Hélène, Calypso, Circé, les nymphes… Mais au lieu d’une accumulation de personnages, elle nous offre une épure stylisée non de La Femme mais de tout le vécu féminin fait d’attente, de désir, de souffrance. Lisbeth Gruwez vêtue d’une stricte robe noire qui joue sur sa haute stature est emportée par un rythme répétitif très simple qui en fait au choix, une valseuse intrépide ou une prisonnière du rythme infernal du temps. On admire à la fois la performance physique (comment peut-elle tourner 20 minutes sans perdre l’équilibre ?) et le pouvoir de suggestion multiple de ce geste simple :se prendre pour une toupie, entre attente et désir, comme la chèvre de M. Seguin. A part qu’ici, la chèvre maîtresse de son rythme, l’est aussi de son destin.

« Les beaux jours ». Malika Djardi fait frémir doucement la nymphette selon Balthus

Malika Djardi dans

Malika Djardi dans – © Marc Domage

Le dernier spectacle de la soirée propose un autre regard sur la femme, un regard d’homme, Balthus « traduit » par Pierre Droulers. Dans la chapelle rococo des Brigittines où les spectacles précédents de trois femmes jouent sur  la performance physique, la technologie ou le rythme rapide, Droulers nous impose le silence et la lenteur. Sans musique, Malika DJardi incarne avec une concentration impressionnante pas moins de 32 jeunes filles séduisantes dans des poses précises, sans l’ombre d’un voyeurisme vulgaire. Il y a là comme une épure du désir sous toutes ses formes, dans le mouvement simple et lent de poses quasi photographiques.Dans cette chapelle rococo règne soudain l’austérité d’une église romane. Un très beau moment de rêverie intérieure sur ce corps sobrement exposé.

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