Avignon 2017. La « révélation » du festival, « Ibsen Huis » de Simon Stone : un tourbillon de sensations au bord du gouffre.
Critique ****
D’Ibsen on connaît « Maison de poupée », « Hedda Gabler », « Un canard sauvage », « Les Revenants », « Peer Gynt », de sombres drames mettant en évidence les secrets familiaux, les non-dits qui pourrissent les relations à travers plusieurs générations. Ou qui soulignent, comme « Un ennemi du peuple » la corruption d’une société, admise par une majorité silencieuse.
Simon Stone, qu’on voit pour la première fois à Avignon (mais pas à Paris où il est artiste associé à l’Odéon) est un curieux mélange : d’origine australienne, né en Suisse, formé à Cambridge, il est associé au Toneelgroup Amsterdam dont le directeur est …Ivo Van Hove. Et produit aussi de séries télévisées et films d’auteurs ! Le tout à 32 ans.
Son amour pour Ibsen, dont il a déjà produit plusieurs œuvres, éclate ici en une superbe polyphonie dont le centre est la ‘maison’, symbole actif des turpitudes familiales. Une résidence d’été, toute transparente, placée sur un pivot tournant, permet d’en explorer les facettes et surtout d’en multiplier les angles narratifs. Les protagonistes se livrent à leurs honteuses confidences, se déchirent, s’agressent, règlent leur comptes, dissimulent puis avouent, vices et lâchetés. A chacun sa part de honte, dans un récit haletant, rythmé, sans concession.
Le génie de Stone est d’avoir puisé dans diverses pièces d’Ibsen une série de thématiques dont il a fait un nouveau texte, adapté à notre époque et retravaillé avec ses acteurs, tous fabuleux. Ainsi la syphilis des « Revenants », maladie fin de XIXè, devient le sida et le HIV à la fin du XXè, avec un thème ajouté : l’homosexualité seulement suggérée dans le « Canard sauvage ». Le pivot est le grand-père Cees, architecte fameux, créateur de cette maison « design », renonçant à la « brique » hollandaise et dont il espère de fabuleux profits. Le profit et la corruption, les modes varient, le thème est central chez Ibsen et dans notre monde. Mais il y a pire : on apprend petit à petit que Cees est un pervers qui a corrompu ses enfants et petits enfants, mêlant inceste et pédophilie. Le thème, suggéré dans « Les revenants », devient central tout comme l’homosexualité d’un des enfants.
Une leçon de théâtre moderne.
Ibsen Huis,Simon Stone – © Christohe Raynaud De Lage
Au début de « Ibsen Huis« on en tenté de chercher dans ses souvenirs des références ibséniennes: peine perdue, il faut se laisser bercer par le ressac des scènes et des personnages, avec leur logique propre, et la temporalité éclatée qui passe de 1965 à 2017.Baignant dans les flux et reflux des époques et des personnages récurrents (jeunes, adultes ou vieux), emporté par les métamorphoses de la maison qui est déconstruite, puis brûlée, on se laisse porter par un vent violent. Alors un style « série télévisée » ? Entre autres techniques, oui, tout est bon pour faire vivre le théâtre comme un médiateur vivant. Simon Stone a une énorme palette expressive : un savoir-faire cinématographique, un art du dialogue percutant, ct une façon d’accorder ses acteurs comme un chef d’orchestre ses musiciens. On a envie de les citer tous les 11, pour leur énergie raffinée, avec une mention spéciale à Hans Kesting parvenant à faire de Cees, diabolique, un personnage complexe, pas du tout caricatural.
On a pris hier une leçon de théâtre moderne : toutes les techniques, éprouvées, du théâtre « germanique » (tourniquet, scénographie hyperactive, cinéma,) au service d’un texte pensé en fonction d’Ibsen, avec un efficace travail de plateau des acteurs. On passe, dans la chronologie des chapitres, du paradis au purgatoire puis en enfer : mais sur scène ne règne que le bonheur de partager que nous offrent des acteurs inspirés.
« Ibsen Huis » d’après Henrik Ibsen, texte et mise en scène de Simon Stone.
Festival d’Avignon, jusqu’au 20 juillet.
Stadschouwburg Amsterdam du 8 au 17 février 2018 (néerlandais surtitré anglais (les 8 et 15/02/18)
Christian Jade (RTBF.be)
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