• Théâtre  • « Cherche l’amour » de Myriam Leroy : 9 variations grinçantes et drôles sur l’impossible rencontre.

« Cherche l’amour » de Myriam Leroy : 9 variations grinçantes et drôles sur l’impossible rencontre.

Elle a la dent dure, Myriam Leroy, qu’elle « cause dans le poste » ou qu’elle croque ses contemporains dans la presse écrite. Avec un talent aiguisé, de plume et de voix, un sens de la formule et une fine analyse des œuvres littéraires. Le fait qu’elle soit « connue » ajoute un défi que Nathalie Uffner, fine connaisseuse d’un certain type de talents, a encouragé.

Et ça donne, au TTO,  « Cherche l’Amour », 9 sketches rythmés et féroces sur des solitaires en manque, essayant de combler, en vain, leur vide intérieur par une rencontre hasardeuse via internet. On voit défiler une pute et « un jeune péteux de la finance », un vieux à la recherche de petites jeunes, 2 couples d’échangistes, où les cathos sont plus vicelards que les « libérés », deux « vieux pédés »(sic) décatis, vrai « numéro » d’acteurs qui fait crouler la salle. Un gros et une grosse qui se dézinguent et une polyamoureuse, qui se présente au public en ces termes:  » Je m’appelle Jane, j’ai 33 ans, et je cherche un garçon ou une fille, ou les deux, ou deux garçons ou deux filles ou ce que vous voulez du moment que ça tient chaud et que ça ne vous abandonnera pas sur une aire d’autoroute au début des vacances ».

Alors, des clichés, tout ça ? Myriam Leroy assume (voir son interview, ci-dessous):  » Au fond nous sommes tous des clichés et une partie de ces personnages nous ressemblent ». Et se défend de tout cynisme: « sur les sites de rencontre la part de cruauté est beaucoup plus forte alors que mon écriture laisse la place à beaucoup plus de tendresse ». Et de fait, le sketch sur deux autistes est plus attendrissant que cruel. Ou encore cette femme s’acharnant  sur son compagnon parce qu’il porte une chemise aux manches courtes est presque …surréaliste. Avec un final qui résume la tonalité d’ensemble sur le couple :

L’homme :Je vois bien que t’as peur de vieillir, peur de ne plus plaire à personne, peur de finir seule dévorée par ton chat, je sais bien que tu inspectes tes rides dans les miroirs, dans les couteaux, dans les cuillers…Mais tes rides, moi, quand t’en auras vraiment, je serai heureux de les lire en braille avec les doigts.

La femme (sous le choc) :C’est vrai ?

L’homme : Non. T’as un beau cul, c’est tout« .

A la lecture, la plume acidulée fait mouche, pensée pour la scène. Et le jeu, et la mise en scène ? Myriem Akheddiou, Sandy Duret, Pierre Poucet et Marc Weiss se sont emparés du texte pour en faire une machine à rire, parfois surjouée, souvent juste. Avec Nathalie Uffner donnant le rythme TTO et assurant, en musique, la fluidité des transitions. Au total une « série » TTO pas loin de la « qualité Minestru », dans « Cendrillon, ce macho ». Un début en fanfare, donc. Et qui se joue à guichets fermés.

« Cherche l’Amour »  de Myriam Leroy au TTO jusqu’au 4 décembre (sold out).

Brève reprise, du 30 août au 2 septembre.

Christian Jade (RTBF.be

 

Interview Myriam Leroy (ML) par Christian Jade (CJ).

Myriam Leroy à la RTBF.

Myriam Leroy à la RTBF. – © DR RTBF

 

CJ : Qui vous a donné le goût de passer au théâtre ?

ML : Je me suis liée à la grande famille du Théâtre de la Toison d’Or par affinité personnelle. Nathalie Uffner avait envie de faire quelque chose avec moi et j’ai relevé ce  défi. Je vois comment fonctionne le TTO, je connais sa ligne éditoriale, qui me faisait un petit peu peur au départ .Mais j’ai accepté, bien que cela me paralysait un petit peu d’écrire pour la « collection ». Chaque pièce semble faire partie d’une série dans le TTO, elle est reliée aux autres, ne fut-ce que par les comédiens qui sont souvent les mêmes et les familles d’esprit qui pondent les textes.

CJ : Vous a-t-on demandé de faire des sketches ? Comment cela s’est-il passé ?

ML : Elle voulait 4 comédiens qui changent de costumes afin qu’ils puissent se transformer régulièrement. C’était un fantasme de mise en scène. Et elle voulait une pièce qui parle d’amour. J’ai rapidement envisagé une série de « speed dating  » car la première rencontre amoureuse (celle où l’on essaie de ne dire que ce qui va bien et où l’on finit par dire le médiocre) pourrait à la fois fournir du comique et de l’émotion. Je n’avais pas envie que la pièce soit juste « drôle ». Pour moi, le rire doit être un vecteur et non une fin en soi.

CJ : Avez-vous écrit pour des acteurs que vous connaissiez ??

ML : J’ai écrit selon ma petite voix intérieure. Les acteurs devaient bien s’entendre et se tenir prêts à travailler sur une longue période. J’espérais que ce choix se fasse avant ma phase d’écriture car cela aurait  » coulé  » plus naturellement mais j’ai dû réécrire le texte après une première lecture des acteurs afin qu’il leur corresponde.

CJ : Vous sentez-vous mal à l’aise d’avoir dû faire de la chirurgie esthétique sur votre texte afin qu’il puisse être mis en bouche par ces acteurs ?

ML : C’est ce que j’ai préféré, en fait. J’adore le montage et le bidouillage musical. Ici c’était vraiment une opération de montage. Partir de la page blanche et puis voir comment les petits ajustements pouvaient faire en sorte que le texte retombe sur ses pattes et que le comédien s’en empare avec habilité, j’ai trouvé cela passionnant. Je vois le texte comme une base de travail  qui représente un tiers de l’écriture. La mise en scène et les comédiens font les deux derniers tiers.

CJ : Au niveau des thèmes, certains sont très attendus (la putain ou les échangistes par exemple) car concentrés sur des pratiques contemporaines telles que « l’offre » internet.

ML : En fait, ce qui concerne la technologie est un prétexte. La pièce parle de la rencontre amoureuse à l’heure de la démultiplication de l’offre. On peut choisir son partenaire sur catalogue après avoir coché tous les critères possibles. Mais le partenaire qui remplit tous ces critères n’existe pas. Du coup, c’est exactement comme avant. On tombe toujours dans les mêmes erreurs et on est toujours aussi seuls. J’avais envie de partir du cliché et de le détricoter en cours de route avec un épilogue auquel on ne s’attend pas. Au fond nous sommes tous des clichés et une partie de ces personnages nous ressemblent.

CJ : L’un des fils conducteurs est l’attente déçue. De cette déception peuvent naître des dialogues parfois d’une grande violence mais qui font rire et inquiètent en même temps.

ML : La vraie vie est encore bien plus violente et sur les sites de rencontre la part de cruauté est beaucoup plus forte alors que mon écriture laisse la place à beaucoup plus de tendresse. J’ai mis le curseur un peu en dessous de la réalité.

CJ : Quelles sont vos sketches  favoris et pourquoi?

ML J’aime bien la scène avec les deux  autistes : deux inadaptés sociaux qui se rencontrent et qui se connectent via leurs inadaptations, leurs déviances et leurs obsessions. Tout ce qui fait qu’ils sont ostracisés dans la société. C’est précisément là-dessus que la connexion va se faire et que je trouve beau. J’aime également la scène où une femme constate que son partenaire porte une chemise à manches courtes. Elle se fixe là-dessus et ne peut pas aller plus loin. C’est grotesque et drôle, mais je suis persuadée que ce n’est pas spécialement éloigné de la réalité. La femme est infecte et malhonnête mais….tout à fait crédible.

CJ : Quel sketch marche le mieux sur le public ?

ML : La rencontre entre les deux octogénaires homosexuels. Le climax de la pièce oppose le Wallon et le Bruxellois, le raffiné et le rustre, celui qui aime le classique et l’autre pas. C’est un carton incroyable auprès du public. Les acteurs cabotinent pas mal et jouent sur leur corps maladroits qui font rire les gens. Cela émeut aussi. La fin de la scène surprend et permet aux spectateurs de voir la sous-couche de la trame. C’est d’une grande simplicité et d’une grande beauté à la fois.

CJ : Quel est l’apport de la metteuse en scène, Nathalie Uffner ?

ML : Je lui ai offert des dialogues et des personnages et elle a dû composer avec mon texte et avec les comédiens faisant de ce squelette quelque chose d’incarné. Certains lui disent que c’est sa meilleure mise en scène. Je la trouve vivante, élégante et sobre. C’est un beau cadeau.

CJ : Cela vous donne-t-il envie de composer une seconde œuvre ?

ML : Oui, bien sûr. Je pense que le thème de l’amour est un thème qui parle et dont on a besoin depuis les récents attentats.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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