• Théâtre  • KFDA 2016. Carnets de route/5. L’amour de la danse. Tradition et modernité : beaux mélanges.

KFDA 2016. Carnets de route/5. L’amour de la danse. Tradition et modernité : beaux mélanges.

Takao Kawagushi .About Kazuo Ohno. Une incroyable transmission de passions.

Dans le hall du Bâtiment Dynastie, au pied du Mont des Arts, on est d’abord reçu par un danseur japonais, Takao Kawagushi, qui effectue une chorégraphie minimaliste. Il relie un vélo privé de sa roue avant à divers objets au sol avec des petits drapeaux triangulaires. Puis il se dénude et s’enveloppe de plusieurs couches de plastic coloré avant de nous emmener à l’étage supérieur pour un show surprenant. Du lieu « déconstruit » initial on passe à un lieu hyper construit en hommage à un danseur de buto mythique, Kazuo Ohno. Muni d’une grande fleur, Kawagushi nous interprète d’abord le rêve de l’embryon :des mouvements lents, des déplacements circulaires dans une bulle imaginaire. Autre épisode : la création du ciel et de la terre très aérien.Le plus souvent il est en vêtements féminins dont il change lentement en arrière scène. L’esthétique est clairement homo, un homme se coule dans l’âme et le corps d’une femme et la lecture du programme nous apprend que le danseur a dirigé le festival gay et lesbien de Tokyo. Mais jamais, sauf peut-être dans son  » bis  » final, il ne nous propose une esthétique « grande folle ». Juste avant l’entr’acte il se grime de blanc sous nos yeux pour aborder le « clou » de l’ensemble : l’hommage à La Argentina. Petite parenthèse sur ce personnage surprenant et sa filiation.

Il était une fois une fois, dans les années 1920/30, une grande dame de la danse espagnole, la Argentina, issue de la danse classique mais qui avait redonné sa noblesse au flamenco. Avec une carrière espagnole, parisienne puis mondiale fulgurante. Elle était adorée du Tout Paris de l’époque, de Manuel De Falla à  Paul Valéry, qui lui dédie sa Philosophie de la danse. Lors d’une tournée au Japon, en 1928, la Argentina fascine un modeste prof de gym, Kazuo Ohno qui deviendra, après 1945, un des fondateurs du buto, cette « danse des ténèbres » anticonformiste qui secoue les traditions de l’après guerre au Japon. En 1977, Kazuo Ohno, âgé de 71 ans, conquiert la gloire en rendant hommage à cette Argentina dont il reproduit l’allure et la féminité, dans un corps de vieil homme, qui dansera jusqu’à sa mort, à l’âge de 103 ans ! Le public belge découvre ce spectacle en 1986…au 140 de Jo Dekmine évidemment. Ohno avait 80 ans.

Aujourd’hui, son disciple fasciné, Takao Kawaguchi, qui n’a jamais vu Ohno sur scène mais est fou de ses vidéos, lui rend un hommage fascinant à partir de la musique imparfaite de ces vidéos. Miracle de la transmission  » Je ressens, écrit Kawagushi, une certaine affinité avec les torsions et les ondulations de ses mouvements. Cela me paraît même sensuel. Peut-être ai-je une qualité similaire en moi ?… Je pouvais en tout cas tenter de l’explorer « . Des témoins du spectacle originel, vu au 140, il y a 36 ans, m’assurent que la version du disciple est remarquable : il a la belle assurance et l’équilibre de ses…54 ans (en apparence, 10 de moins !) alors qu’ Ohno, à 80 ans était plus… fragile. La « copie » rafraîchit donc l’original et lui ajoute une vigueur nouvelle, sans du tout le « trahir ». Pour moi et la quasi-totalité des spectateurs présents, on aborde l’œuvre « vierge » de toute influence et ça marche parfaitement, cette confession esthétiquement parfaite d’un homme qui se rêve femme. Ce répertoire japonais buto raffiné vaut la peine qu’on le perpétue et qu’on le visite régulièrement, comme un patrimoine de la culture mondiale. Tous les grands chorégraphes du XXè siècle jusqu’à nos jours font pareil : laisser une trace. Belle trace, d’autant plus belle que rare.

Takao Kawagushi .About Kazuo Ohno. Jusqu’au 19 à 20H30  au Bâtiment Dynastie

 

Ottof de Bouchra Ouizguen: joie de femme libérée.

– © Margot Valeur

Bouchra Ouizguen n’est pas « rare » chez nous. Heureusement. Depuis 2011 et sa Madame Plaza, elle est même une icône du KFDA avec l’an dernier de magnifiques Corbeaux où elle entraînait public et jeunes femmes  » amateur  » dans une énergique affirmation  de féminité musulmane en plein cœur de Molenbeek.

Avec Ottof on passe des  » corbeaux  » à fichu blanc à des « fourmis » ( » ottof  » en berbère), hommage à ses interprètes, ses compagnes qui forment un groupe bien soudé de femmes du peuple  » laborieuses « , parcourant des dizaines de km chaque jour pour pratiquer leur art. Sur scène d’abord le mystère d’une femme immobile dans la pénombre, à peine éclairée dans sa tenue stricte qui cache ses formes. Elle sera suivie de 3 autres compagnes soumises au même régime étrange : des glissements dans la pénombre/prison sur une musique contemporaine. Très bel  » adagio  » comme on dit au Reine Elisabeth ! Soudain une 5è femme surgit qui amènera lumière, cris de joie, rejet progressif de la tenue stricte et foncée pour des vêtements féminins colorés. La musique arabe  rythmera le reste du spectacle de ces femmes libérées qui chanteront l’amour et la malchance dans des textes qu’on aurait préféré lire en direct plutôt que dans le programme. Le contraste pénombre/lumière, retenue/ joie de vivre, prison/délivrance fonctionne très bien et entraîne les spectateurs dans une franche bonne humeur face à ces magnifiques « résistantes ».

Ottof de Bouchra Ouizguen aux Tanneurs jusqu’au 18, 20H30

www.kfda.be/fr

Christian Jade(RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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