KFDA 2016. Carnets de route 1. Ouverture joyeuse.
Premier constat de cette première journée de KFDA 2016, vendredi soir :le lieu choisi comme centre du Festival, la Chapelle des Brigittines est en soi magique. Mais son aménagement pratique, intérieur et extérieur a bénéficié d’un temps exceptionnel. Du coup la pelouse aménagée en partie en restaurant rustique et le charme du lieu ont fait de ce rassemblement « bobo » et bon enfant un plaisir de vacancier. Noir de monde jusqu’à 2 h du matin (au moins !). Cela fait aussi partie du jeu KFDA : mêler les plaisirs parfois pointus des arts contemporains à la décontraction d’une réception familiale, avec bonne petite bouffe et boissons à volonté. Pas négligeable : il était temps que Bruxelles redevienne une fête après la grave purge de novembre/avril causée par les attentats Paris/Bruxelles et les angoisses collectives générées.
Samedi soir c’est Anna Rispoli qui a illuminé de l’intérieur l’immeuble d’habitations sociales qui jouxte la chapelle, la Tour Brigittines-Visitandines. Une manière de faire participer ses habitants à une œuvre d’art qui transforme le quotidien en poésie. Vorrei tanto correr a casa ancora, une reprise- une seule fois- du spectacle de 2009 qui intègre un immeuble pas spécialement beau aux recherches esthétiques du KFDA. Une fois seulement ? Dommage.
Vive le cinéma de jungle !
Apichatpong Weerasethakul: – © Kick the machine Films
A priori mon intérêt pour le Kunsten vient des formes théâtrales nouvelles qu’il propose. Mais à force d’entendre vanter le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, de moi inconnu, je me suis laissé tenter par ce monde entre rêve et réalité, où l’amour de la jungle n’a d’égal que les échappées belles vers les souvenirs, la familiarité avec les fantômes et le monde animal.
Le « clou » sera la projection en pleine forêt de Soignes de Tropical Malady qui explore la jungle thaïlandaise. La jungle au carré? Un clin d’œil tout au plus. Mais déjà sold out! Il vous reste à explorer l’œuvre complète de ce maître rare au cinéma des Galeries, qui organise jusqu’au 21 mai une rétrospective et une exposition dans les …caves du cinéma. J’ai donc été hier voir avec beaucoup de plaisir la palme d’Or du Festival de Cannes 2010, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. On y voit des fantômes s’installer avec un naturel confondant à la table d’un vieil homme qui se meurt avec élégance au fond de la jungle thaïlandaise. A la fois réaliste et invraisemblable- un laboratoire de dialyse chez un particulier en pleine jungle !- la dominante est un fantastique doux : comme cette poursuite des origines au fond d’une grotte, ces amours -un morceau d’anthologie- d’une princesse et d’un poisson-chat. On abandonne tout esprit cartésien et on apprécie et le bestiaire fantastique, la beauté des images en contre-jour et les métempsychoses animalières. NB : outre deux films non diffusés en Belgique, The state of the world et Cemetary of Splendor les amateurs pourront aussi voir deux séances de courts métrages inédits.
Festival Apichatpong Weerasethakul. Cinéma des Galeries jusqu’au 21 mai
– © Wael Shawky
Des musulmans et des croisés de verre.
Autre fascination : le film de l’Egyptien Wael Shawky nous fait vivre dans Cabaret Crusades le schisme entre Sunnites et Chiites qui embrase toujours le Moyen Orient. Le meurtre d’Hussein en 680, une guerre de succession qui a mal tourné, entraînant un schisme irréductible. Un rappel historique où la complexité des faits et des noms nous soule un peu en 2 heures denses. Mais l’irruption des Byzantins et des papistes dans le jeu, sans oublier les Vénitiens nous est plus familière : surtout à l’époque de Saladin, le plus tolérant des monarques musulmans. Ce cours d’histoire, aux prolongements très actuels, vaut surtout par la fascination de 200 marionnettes en verre de Murano aux » gueules » pas possibles qui expriment des sentiments tordus comme leurs visages. Pratiquement pas ou peu de batailles mais des paysages stylisés et des marionnettes aux ficelles toujours bien visibles, comme dans la Realpolitik terrible de cet endroit stratégique. Avec, en filigrane, un humour décalé, dont chaque camp fait les frais. A recommander à tous les amateurs d’ovnis surprenants hyper esthétiques. Et aux passionnés du Moyen Orient.
Cabaret Crusades de Wael Shawky Encore visible cet après-midi, dimanche à 15h aux Brigittines mêmes.
Danse et installation. La parole au Maghreb, de Ravenstein à la Raffinerie
– © Titanne
La Galerie Ravenstein face au Palais des Beaux-Arts est quant à elle » ravagée « par une installation qui se veut provocante. Sur ce lieu classé Younes Baba-Ali, Marocain a installé en France, installe une « sculpture sociale », une vingtaine de paraboles non pas fixes mais » circulatoires » même si leur tendance est de se déplacer sur l’axe Bruxelles-La Mecque. Ces » ready made » sont une façon moqueuse de nous interroger sur le repli identitaire de cette technologie… religieuse. Auparavant, remarque Baba-Ali, au Maroc ces satellites étaient orientés vers… l’Europe. La mode a changé. C’est La Mecque toute ! Humour et politique font bon ménage au Kunsten.
Enfin à la Raffinerie/Charleroi/Danses Taoufik Izeddiou propose « En alerte« – jusqu’au 10 mai– mélangeant, avec deux excellents musiciens, danse, poésie, religion et politique. A partir d’un dynamisme initial, basé sur le vertige du corps, Izeddiou passe à une rêverie sur un poème du Palestinien Mahmoud Darwich puis sa prestation se met au pas, transformant l’espace en peinture/sculpture tracée à même le sol avant de redémarrer dans l’énergie. Avec des moments attendrissants comme cette quête des » gros câlins » du public.
Christian Jade (RTBF.be)
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