• Théâtre  • « PIEUVRE (TRACES+ FANTÔMES) ». FRANCOISE BLOCH NOUS MET SON DEUIL A DISTANCE.TENDRESSE ET ELEGANCE. ***

« PIEUVRE (TRACES+ FANTÔMES) ». FRANCOISE BLOCH NOUS MET SON DEUIL A DISTANCE.TENDRESSE ET ELEGANCE. ***

THÊÂTRE OCEAN NORD JUSQU’AU 20 AVRIL 

Depuis une vingtaine d’années Françoise Bloch et sa compagnie Zoo Théâtre ont mis au point un théâtre documentaire où l’exploration du système néo-libéral se base sur des exemples vécus, traités avec la rigueur de l’analyse, la tendresse pour les victimes et l’humour qui évite le piège de la démonstration.

Et puis brusquement un drame intime la frappe en 2021 en plein confinement « covidien ». Son compagnon renonce à la vie et toute une profession s’identifie aux victimes, le disparu et sa compagne. 

Comment guérir de ce drame ? « Pieuvre (Traces + Fantômes)» y répond de plusieurs façons. D’abord en s’exposant à la première personne alors que Françoise metteur en scène n’a, à ma connaissance, jamais été « actrice ». Premier pari réussi : un naturel convaincant dans l’artifice assumé du théâtre. 

Le deuxième pari, tout aussi réussi est de s’appliquer à elle-même son système documentaire. Il y a évidemment du « je » intime mais donnant la parole non à la victime d’un drame mais à la metteuse en scène débordée par sa logique d’accumulation de pièces documentaires d’où la métaphore de la « pieuvre » aux tentacules intelligents. C’est sa manière de rendre hommage à son compagnon sans jamais le nommer, à la recherche de ses « traces » et avec une seule photo de lui adolescent aux côtés de sa mère. 

Une phrase exposée tout au long de la partie « TRACES » donne la philosophie du tout :« Qui est le meurtrier de l’homme qui s’est tué » ? Réponse insoluble puisque les causes d’un suicide sont par définition insondables et multiples. Pas d’exploration du couple, une pente trop « savonneuse ». Surtout pas de récit dramatique classique pour faire monter la tension et donc la pression sur le public. Plutôt, via des photos commentées, la douce insinuation du quotidien, de l’espace intime au moment du drame puis l’évocation de l’enfance et des parents immigrés italiens qui font partie de l’histoire de Belgique Au passage la médiocrité des institutions envers les artistes mais aussi de brèves touches lyriques où rôde Baudelaire.

On change de lieu et de perspectives avec FANTÔMES où le « document » d’appui est le théâtre, « Hamlet » bien sûr mais surtout un film de Jozef Manciewicz « The Ghost and Mrs Muir » où le « revenant » dicte son texte à sa victime « enchantée ». Une sorte d’humour …à la Bloch. Des images fixes de ce très beau film « noir et blanc » avec des sous-titres eux aussi distanciés, ralentis. Et une scène finale de quotidien transcendé par une énorme vague marine. Poésie discrète d’un amour insinué.

J’avais oublié qu’en dehors de son travail documentaire sur notre société Françoise m’avait ému il y a plus de vingt ans, en mettant en scène (modeste « œil extérieur ») un incroyable solo intime de Philippe Grand’Henry, réglant ses comptes avec sa mère …en l’incarnant : « Tout ça du vent », meilleur seul en scène 2002 des Prix de la critique. Expressionniste, pas (encore) distanciée, l’intimité. 

Dans « Pieuvre et Fantômes » le sujet intime, tragique, à la fois auto-incarné et mis à distance, insinue l’émotion, dans une forme simple et élégante. Françoise Bloch évite l’emphase et la dramatisation pour rendre hommage, en douceur, à son compagnon suicidé. En nous le donnant en partage.

CHRISTIAN JADE 

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