« ALI ». L’ODYSSEE D’UN JEUNE MIGRANT, HEROS D’UN OPERA PERCUSSIF ET POETIQUE. ***
C’est une « histoire vraie » devenue chant, rythme, poésie visuelle et fable politique curieusement optimiste. Ali Abdi Omar avait 12 ans lorsqu’il a fui la Somalie en 2017 et 14 lorsqu’il atterrit à la Gare du Midi à Bruxelles. Il vit toujours en Belgique et son récit sert de trame au livret de l’opéra Ali, un projet multiculturel étonnant produit par La Monnaie, coréalisé par le KVS où collaborent un Catalan, deux Américains, un Marocain, et trois chanteurs belges d’origine africaine.
Critique :
L’opéra commence par les adieux d’Ali à sa mère qui restera comme récitante et fil rouge de ce long parcours de deux ans, semé d’embûches à travers le Soudan, le Kenya, l’Ouganda, la Somalie, l’Ethiopie, la Libye – un an en enfer – la Méditerranée et Malte avant l’arrivée à la gare du Midi, en plein hiver. Ali est souvent victime de trafiquants et accompagné d’un groupe d’amis avec lesquels il traverse le désert, se cache dans des coffres de voiture et s’embarque finalement sur un navire en Méditerranée. Le livret d’Ali Abdi Omar et de Ricard Soler Mallol est basé sur le récit vécu du jeune Ali et donc réaliste, documentaire.
Le co-librettiste catalan Ricard Soler Mallol est aussi metteur en scène et nous livre une version poétique et pas naturaliste de l’espace et de l’action. La scénographe Marie Szersnovicz – qui signe aussi les costumes et bien connue des amateurs de théâtre – l’y aide en suggérant autant de lieux avec une logique mathématique qui multiplie les espaces en un clin d’œil. L’espace est surplombé par l’orchestre, visible ou caché, un acteur parmi d’autres.
Et les trois solistes Ali, sa mère et un chanteur qui incarne quatre rôles dont celui de Walid, le « méchant passeur, pas si méchant », alternent des arias face au public et des prises de parole. Ainsi Ali dans son groupe de copains et les deux récitants au sein de l’orchestre en surplomb, créent une dynamique à l’image de la musique qu’ils interprètent. Le rôle-titre Ali est incarné par la voix fragile mais prometteuse du contre-ténor sud-africain Sanele Mwelase, une prise de rôle à la Monnaie (en alternance avec le contre-tenor Brennan Hall). La mezzo Raphaële Green, mère d’Ali et récitante de l’action et le baryton Ben Hsaïn Lachiri, récitant et incarnation du méchant passeur sont des « espoirs » de la Maison Monnaie qui confirment avec aisance et élégance leur talent lyrique et dramatique.
Mes seuls bémols portent sur le texte du « méchant passeur », un « monstre » un peu trop « humanisé » à mon goût et sur le finale « belge », une « revue » parodique pas convaincante. Un anti-climax, disons.
Reste que le gros pari de la Monnaie était évidemment la création d’un nouvel opéra et là c’est banco : la musique d’un trio, deux Américains, Grey Filastine, et Brent Arnold, et un Marocain de France Walid Ben Selim. Grey Filastine est un compositeur de musique électronique et percussionniste de talent et amateur de musique du monde, du Brésil à l’Inde ou du Maroc aux Philippines. Autre amateur de musique ethnique Walid Ben Selim qui se charge de la partie arabe de ce spectacle trilingue. Quant à Brent Arnold il transpose le numérique en « acoustique » que l’orchestre présent cisèle sous la direction de Michiel Delanghe. Compliqué trois compositeurs ? Le résultat est simple et évident.
Le miracle donc : un mélange réussi de musique électronique, acoustique et « world »/musique du monde, interprétée par des artistes belges d’origine africaine. L’opéra Ali est sold out au KVS qui accueille le spectacle. Un succès qui appelle à une reprise.
CHRISTIAN JADE
Photo (C) Simon Van Rompuy