« Dieu le Père »: Roda Fawaz : une » bête de scène » ! Amour (de la Mère), religion et humour, une joyeuse cohabitation ***
Il y a 4 ans on découvrait Roda Fawaz aux Riches Claires dans « On the road… a », mis en scène par Eric De Staerke. Un savoureux stand up sur la difficulté d’être musulman en essayant de déguiser (vainement) cette identité. Récompensé par un Prix de la Critique (« découverte »), repris par le théâtre de Poche, exporté à Avignon : la reconnaissance d’un talent. Le Poche donne une seconde chance à Roda/Mohammed dans une mise en scène hyper-dynamique de Pietro Pizzuti.
« Dieu le Père » part toujours de la biographie de l’auteur/acteur mais sous un angle différent, une mère omniprésente et très croyante et un père absent et irresponsable. On fait quoi de cette cacophonie initiale ? La recherche d’identité adolescente, autocentrée et comique dans « On the Road… a » devient ici un regard adulte sur la cellule familiale et la religion musulmane. Aïe, aïe aïe , sérieux tout ça, ? Engagé, bien-pensant donc ennuyeux ?
Que nenni, avec la touche Roda mettant son personnage à distance, incarnant tous les rôles, lui, le Père fuyard, parfois la Mère abandonnée et le Dieu qui envahit progressivement la Mère, on a un puzzle en mouvement. La dynamique travaillée du corps et de la voix, métamorphosés, nous font passer d’un récit classique à un univers plus baroque où le double jeu occupe la scène. Roda, d’abord simple témoin de sa vie, dialogue avec son père absent ou…Dieu par un smartphone en mode « selfie confidentiel » aux images projetées sur écran.
Mais il devient aussi, alternativement, un acteur survitaminé, dopé par un costume d’un rouge éclatant et une chorégraphie du corps qui nous l’offrent en mode « performance » : une bête de scène qui séduit un public en mode « standing ovation » à la fin du spectacle.
Et l’histoire? Un hommage à une mère courageuse devant affronter à la fois les infidélités à répétition d’un mari polygame de fait, multipliant conquêtes et enfants de par le monde donc de plus en plus absent. L’atterrissage de la maman du petit Mohammed à Bruxelles avec trois autres frères, dont un sourd muet, sa débrouillardise pour nourrir sa famille en ouvrant un salon de bronzage, puis le retour progressif à la religion, avec voyage à la Mecque et port du voile revendiqué : un fil conducteur en forme de cordon ombilical .Avec deux scènes d’anthologie qui nous font mourir de rire : une engueulade du père, vraisemblable et… fausse, et une engueulade d’un employé communal prenant sa mère pour une illettrée ; tout aussi imaginaire et tellement « juste » : du vrai théâtre où le rire ouvre la réflexion.
Le père irresponsable et l’employé à la limite du racisme méritaient la claque imaginaire qu’ils prennent. La défense d’une mère portant le voile islamique par intime conviction et par force de caractère et pas pour « obéir » à un mari volage, contredit le cliché de la femme musulmane soumise et introduit le malaise du fils à la fois mécréant et admiratif d’une forte femme. Mais cette « morale de l’histoire » (Dieu le Père ou la Déesse Mère ?) est insinuée, pas imposée, dans une bonne humeur générale, communicative, qui ouvre le champ des nuances sur l’Islam, ses clichés et les clichés qu’il suscite.
« Dieu le Père » de et avec Roda Fawaz, mise en scène de Pietro Pizzuti .
Au Théâtre de Poche jusqu’au 25 janvier.
Avec le mercredi 15 janvier, après le spectacle, un débat sur « Islam et féminisme » . Le Poche sans débat de société n’est plus le Poche.
A la Vénerie/Espace Delvaux du 28 janvier au 2 février
Plus d’infos sur le spectacle
Avec l’interview de Roda Fawaz dans « Entrez sans frapper », le 10 janvier.
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