• Théâtre  • Etat-Père/Terre-Mère, l’enfer patriarcal en 4 coups de poing. CRITIQUE***

Etat-Père/Terre-Mère, l’enfer patriarcal en 4 coups de poing. CRITIQUE***

Quand on pense à la Turquie politique l’image d’Erdogan, conservateur religieux, irrespectueux des droits humains surgit. Et on se rassure par l’image d’Atatürk qui a imposé la « laïcité » à son pays, au lendemain de la première guerre mondiale.

Seulement voilà il ne suffit pas de proclamer l’égalité hommes/femmes, pour y parvenir. L’actrice Sibel Dincer en 4 petites histoires de femmes turques, décrites par Deniz Kaptan, nous plonge dans un concret patriarcal contemporain et universel. Un moment de théâtre beau et violent.

Dans « Le cheval blanc » une femme analphabète attend le bus, incapable de lire la plaque du « bon bus ». C’est la honte. En rêve elle retourne à son enfance, dans les années 1920. Elle se voulait avocate car Atatürk avait promis d’envoyer dans tous les villages des instituteurs sur leur cheval blanc. Quand ce cavalier fantasmé surgit elle a tout juste le droit de servir le café et d’essuyer le crottin. En attendant d’être livrée par son père à un citadin instruit et méprisant. Le patriarcat « ordinaire », doucereux.

Dans « Le mauvais œil » le marché matrimonial tourne mal : père et mère livrent leur fille à une brute qui la bat d’emblée, avec acharnement. Muette, frigide, passive mais un soir elle prend plaisir à l’égorger, froidement. En prison elle découvre la solidarité féminine et rêve de sortir la tête haute.

« Ma peine approche de sa fin… Le chien voit le printemps mais n’oublie pas

le nombre de pierres qu’on lui a jeté… Je ne mourrai pas ici. Je sortirai. »

Dans « Tiens, lâche » une sage mère de famille se rêve en femme adultère avec un beau jeune homme « aux yeux de miel » et liquide au passage une collègue de bureau « à tête de fromage ». C’est le plus burlesque des récits avec une héroïne velléitaire qui fait dans l’autocritique : « Je suis quoi ? Une femme ? Une mère ? Un être humain ? Une compagne ? Une maîtresse ? Je suis une mère. Je désire ce garçon. Non je ne le désire pas. Je ne sais

pas ce que je veux. »

A l’opposé dans « L’Animal curieux » qui clôt la session l’homme en prend pour son grade. Alors qu’elle vient de subir une rude opération du cerveau la seule question du mari porte sur sa nudité face aux techniciens réparateurs du scanner. La vengeance, verbale prend la forme d’une partouze imaginaire avec le personnel de l’hôpital. Le fantasme, servi chaud au mari jaloux et voyeuriste se déguste dans la bonne humeur.

Grâce soir rendue à Sibel Dincer d’avoir découvert, traduit, adapté et interprété cet univers de Deniz Kaptan, alternant tragique et comique, prose et poésie, passant sans cesse de la dure réalité du patriarcat à sa caricature parfois …assassine. D’un contexte turc elle nous offre des situations universelles, dûment répertoriées dans les statistiques sur les féminicides et les faits d’actualité judiciaire. Ce théâtre-là n’est pas de la télé-réalité mais une amplification poétique de cette réalité par la qualité du texte et la passion précise de son interprète, Sibel Dincer, mise en scène par un orfèvre en climats aigres-doux, Eric De Staerke.

ETAT-PÈRE, TERRE-MERE, de Denis Kaplan, par SIBEL DINCER 

Aux RICHES CLAIRES JUSQU’AU 25 NOVEMBRE 

 CHRISTIAN JADE

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