Reprise « Je suis un poids plume ». Stéphanie Blanchoud. La boxe comme art et comme guérison.****
Critique :
C’est l’histoire d’une rupture, vécue. Comme chacune et chacun en a subi ou provoqué. Avec un mélange de bonne et mauvaise foi. Avec des odeurs et des regrets. Des bleus à l’âme et fatalement des coups bas. Un jour on part mais quand on revient, oh rage, la place est prise, la rivale installée, bientôt avec un gosse. Crises, éclats, début d’hystérie. On se calme, on fait les comptes, tous les comptes. Le partage dérisoire des objets, la coupure des assurances voiture, tout ce quotidien un peu sordide qui vous envahit, au bord de la nausée. » Ah ! quand on se sépare c’est plus cher, c’est ça? « . Des odeurs aussi qui vous collent à la peau, bien au-delà de la chute finale. Des souvenirs qui arrivent en rafale lors d’une échappée belle en Afrique, qui soudain permet de se ressourcer, de » refaire connaissance avec moi, de me sentir vivante autant que minuscule, devant ces étendues, en tête à tête avec le rien « . Après tout ce quotidien crépité en rafales, ce moment de lyrisme ouvre un horizon et ramène l’espoir. La reconquête de soi ne viendra toutefois pas de l’évasion poétique mais de la patiente et méthodique action sur son corps par un sport inattendu chez une jeune femme : la boxe.
La boxe, remède et chorégraphie..
« Je suis un poids plume » est le récit d’une guérison par un sport apparemment violent mais « je n’ai jamais aimé la violence. Jamais aimé le goût du sang. Ce n’est pas pour ça que je fais de la boxe ». Et elle nous le prouve, visuellement, par une démonstration technique impressionnante de son apprentissage à ce sport. « C’est pas du fitness, prévient Ben, l’entraîneur. La boxe c’est de la danse et il veut voir de beaux mouvements, pas n’importe quoi « . Ben, qu’on verra conclure avec Stéphanie un petit round de boxe chorégraphiée, résume ainsi tout le charme que produit cette performance. Son texte est rythmé de l’intérieur comme un combat, coups secs à l’adversaire, mêlées plus sauvages, entraînement intense où la parole émerge d’un corps beau et vigoureux. On en suit les malheurs et la reconquête de soi à partir d’un morceau d’anthologie : son premier combat, perdu, de 3 X 2 minutes, qui lui permettra de progresser et de vaincre sur les deux fronts, intérieur et extérieur : « Quand tu crois que tu ne peux plus tu peux encore« .
Une écriture qui passe par le corps.
Stéphanie Blanchiud – © Johannes Vandevoorde
Alors autobiographique ce récit ? Oui, la rupture et la boxe, pour s’en guérir. Mais ce qui compte c’est pas son vécu mais la manière dont elle s’en empare pour nous le faire partager. Cette performance, déjà impressionnante de précision technique et de concentration, est ‘habitée’ par une énergie mentale qui donne son rythme à toutes les étapes de ce récit bref et intense. Une série de flash backs permettent à la fois de vivre la relation brisée et son évolution dans l’âme de l’actrice, à mesure que le corps actif retrouve sa joie de vivre. L’Autre sera toujours muet mais tout parle autour de lui, les mots de Stéphanie, la musique, de Bach à Rocky en passant par » Heaven Please » de Devics, les lumières de Benoît Théron qui sculptent d’ombres et de contrastes le visage et le corps expressifs de la performeuse. On sent là un très beau travail d’équipe, une entente subtile avec la metteuse en scène Daphné d’Heur, elle aussi actrice et musicienne. Et avec le coach Ben Messaoud Hassen, à la fois » chorégraphe » de ce corps reconstruit et sourcier de cette reconquête intérieure. On en sort heureux d’avoir vécu ce » mélo » classique mais dégraissé de tous les » clichés » de la rupture par un langage sec, une précision du corps et une beauté sobre de l’ensemble. Toutes les femmes s’y retrouveront, tous les hommes aussi.NB : Stéphanie Blanchoud fai–
t partie de cette génération d’actrices curieuses de tout, théâtre, chanson… boxe et cinéma. Il semble peu vraisemblable que vous l’ayez ratée dans la série » L’Ennemi public » de la RTBF, dont la deuxième saison sera tournée cet été. Si vous avez aimé la série, ne ratez pas sa présence… théâtrale.
Quant à son écriture, elle doit beaucoup, dit-elle, à Véronique Olmi, auteure et actrice, comme elle, qu’elle a mise récemment en scène dans » Jackson Bay » de…Stéphanie Blanchoud, créé en Suisse et passé brièvement par l’Atelier Jean Vilar à LLN.
« Je suis un poids plume » de et par Stéphanie Blanchoud, mise en scène de Daphné d’Heur.
Reprise au Théâtre de Namur du 9 au 12 octobre
ensuite
– du 6 au 18 novembre au Théâtre des Martyrs
– le 1er février 2019 au Centre Culturel Central (La Louvière)
– du 11 au 14 mars 2019 au Centre Culturel Eden (Charleroi)
-Le texte est publié aux éditions Lansman.
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