Une « Walkyrie » intériorisée à la Monnaie. Crépusculaire et illuminée. Un Castellucci surprenant***
Romeo le provocant nous avait averti en présentant à l’automne l’ensemble de son Ring wagnérien. Chaque épisode aurait sa logique visuelle et sa dynamique et donc la mise en scène de La Walkyrie n’aurait rien à voir avec celle de L’Or du Rhin. Pari tenu mais au profit d’une perspective sobre, plutôt rare chez lui.
Le meilleur de sa mise en scène se concentre sur trois noyaux affectifs, l’amour incestueux des jumeaux Siegmund et Siegelinde aux deux premiers actes, l’affrontement entre Wotan et sa femme Fricka, gardienne de la loi au 2e et, en apothéose, au 3è acte, le dialogue douloureux entre Wotan et sa fille Brunehilde, la Walkyrie désobéissante. Ces trois couples-là sont traités avec tendresse, humour, ou gravité.
La scène de séduction de Siegmund par Siegelinde se déroule comme un délicat tableau préraphaélite avec des fleurs et tissus printaniers et une féminisation du guerrier par sa jumelle qui mène le jeu. L’ajout de lait maternel et de sang pour insister sur la filiation troublante est un symbole un peu facile. Quant Fricka surgit pour obliger Wotan à faire exécuter Siegelinde et Siegmund coupables d’adultère et d’inceste, est affublée d’une caricaturale robe de nonette blanche sortie d’une improbable BD et qui casse son discours moralisant.
Mais le grand moment inoubliable de cette soirée c’est le duo final du 3è acte où Wotan punit sa fille Brunehilde pour lui avoir désobéi en l’exilant sur un rocher et en la privant de son statut de demi-déesse. Le dialogue où la fille de Wotan prouve qu’en essayant de sauver son demi-frère elle s’est comportée comme la meilleure part de Wotan lui-même touche au sublime. Le décor noir de noir à la Soulages et la tendresse amoureuse des corps en dialogue font de cette scène un hymne à l’amour paternel d’une incroyable intensité. Quand un accord est trouvé entre eux pour préserver le corps mortel de Brunehilde un carré blanc de lumière éclaire petit à petit la pénombre. On passe du noir de Soulages au carré blanc sur fond blanc de Malevitch ! Et cette lumière blanche intense semble comme une annonce du feu qui la protégera dans son exil rocheux.
Une abstraction créatrice qui magnifie la musique.
Ce final abstrait est à l’image de l’ensemble de la mise en scène qui s’applique à casser certains outils traditionnels de la panoplie wagnérienne comme l’épée Notung, tournée en dérision par sa naissance dans le corps de Siegelinde et sa mise au frigo en attendant usage ! La chevauchée des Walkyries est elle aussi détournée de la fougue épique :il y a bien de vrais chevaux mais quasiment immobiles dans la pénombre, des figurants. Et le ballet des Walkyries trainant les cadavres de leurs héros se transforme petit à petit en un récit aux allures christiques. Le vieux chrétien Castellucci s’amuse.
L’avantage de cette mise en scène plutôt abstraite et plus chambriste qu’épique c’est qu’on écoute plus attentivement que jamais la splendeur de cette musique et la profondeur d’un livret qui fait de l’amour humain, sous toutes ses formes, animal (que d’animaux ! chiens , colombes, chevaux) et métaphysique, un thème central exigeant. Alain Altinoglu donne à l’orchestre de la Monnaie une dynamique et une justesse dans les nuances encore plus remarquables que dans l’Or du Rhin. Les solistes peuvent tranquillement s’épanouir comme ce Wotan de Gabor Bretz au timbre sensuel, qui semble plus sûr de son personnage et de la projection de sa voix que dans le premier volet du Ring. Nicole Lemieux en Fricka explore avec jouissance ses aigus wagnériens. Quelle performance dans une rôle de « méchante » ! Si le Siegmund de Peter Wedd est encore fragile, sa « jumelle » Nadja Stefanoff est une découverte intéressante, à la voix fruitée. Mais la révélation de la soirée c’est la Brunehilde d’Ingela Brimberg, voix d’une beauté de timbre transcendante et d’une impressionnante sureté dans tous les registres Et quelle actrice ! Elle forme avec Gabor Bretz au 3è acte un duo inoubliable. Quant aux Walkyries elles ont des talents multiples :un chœur vocal dynamique et juste, un quasi corps de ballet et un collectif d’actrices émouvantes.
Au total un deuxième volet du Ring de Wagner très crépusculaire, qui nous laisse dans l’attente du crépuscule final des dieux.
La Walkyrie de Richard Wagner, mise en scène de Romeo Castellucci, direction musicale d’Alain Altinoglu.
A la Monnaie jusqu’au 11 février.
En streaming direct sur Musiq 3 et Auvio RTBF le 6/2
En streaming différé sur Auvio du 6/2 au 6/8.