• Théâtre  • Christophe Coppens, du chapeau de Rihanna au « Château de Barbe- Bleue », à La Monnaie. Itinéraire d’un self made man.

Christophe Coppens, du chapeau de Rihanna au « Château de Barbe- Bleue », à La Monnaie. Itinéraire d’un self made man.

C’est une curieuse destinée que celle de Christophe Coppens. Fou de théâtre dès son adolescence, il veut devenir comédien  mais au Conservatoire de Bruxelles il constate qu’il n’est pas un très bon comédien mais un excellent metteur en scène, très original pour ses costumes et ses…chapeaux. Repéré par le magazine Marie Claire, il se lance dans la mode, le design et devient un costumier/ chapelier fameux, au point d’habiller de grandes vedettes aussi contrastées que Rihanna et la Reine des Belges.

En 25 ans de carrière dans la mode il n’a pas pour autant perdu le contact avec le monde du théâtre et de l’opéra où il est un « accessoiriste » réputé. Brusquement en 2016, c’est le « coup de bol ». Peter de Caluwe, directeur de la Monnaie, remarque la qualité de son travail dans « To be sung » de Pascal Dusapin et lui propose de passer à la mise en scène de « La petite renarde rusée » de Janacek. Une nuit de réflexion et …. « Tope là » ! C’est l’époque où la Monnaie, exilée de ses bases pour cause de rénovation, confinée sous tente à Tour et Taxis, donne sa chance à des nouveaux venus. Et c’est bingo : le public et la critique unanimes louent l’imagination et l’originalité de la proposition, rebaptisée « Foxie ».

 Et voici la 2è chance de Christophe Coppens à la Monnaie : à partir du 8 juin, la mise en scène, d’un diptyque Bartok , « Le Château de Barbe Bleue », un opéra court mais intense et le « Mandarin merveilleux », une pantomime. Avec Nora Gubisch dans le rôle de Judith et Ante Jerkunica en Barbe Bleue. Avant d’aborder cette actualité, un bref retour sur « Foxie », cette « success story » qui a lancé Christophe Coppens.

L’Interview de Christophe Coppens

Christophe Coppens photo de répétition du

Christophe Coppens photo de répétition du – © S. Van Rompay

Christian Jade : Dans « Foxie »,  » la petite renarde rusée  » de Janacek vous avez surpris tout le monde en transformant la fable animale en une tragédie de jeunes adolescents En somme les êtres humains sont des animaux comme les autres ?

Christophe Coppens : Je suis d’accord avec certaines critiques qui disent qu’on perd cette « poésie » de l’animal. Mais je trouvais plus efficace et plus intéressant de voir un groupe de  » vrais  » jeunes sur scène que des jeunes qui jouent des papillons. C’est sans doute mignon à voir, mais je ne voulais pas du joli, de l’esthétique. J’ai donc créé un monde très humain, très quotidien, pas trop esthétique, assez laid, aussi dans les costumes (avec le costume roux qui rappelait la renarde). Avec Barbe-Bleue, c’est autre chose.

Vous êtes passé du réalisme à une certaine abstraction ?

 Pour moi c’est d’abord l’histoire d’un homme qui n’arrive pas à s’exprimer ou à laisser quelqu’un entrer dans ses sentiments, son monde. La femme, Judith, n’est pas une victime, une ‘pauvre fille’ qui entre dans un château avec un méchant homme qui la guette. Elle est très curieuse et presque excitée par ce danger, cette ambigüité. Elle veut être là, c’est son choix, elle cherche l’homme, elle pousse, gratte, essaie de devenir plus proche mais après chaque porte, elle découvre une partie de sa personnalité. Barbe-Bleue c’est le château, et le château c’est Barbe-Bleue. Il y a cette tension de s’approcher, de s’éloigner, de chercher, c’est très raffiné. Ma mise en scène est très intériorisée, chaque main posée, chaque respiration est délicate. Barbe-Bleue avec Judith c’est peut-être vous et votre épouse qui essayez  de vous comprendre Pour aimer, il faut comprendre. J’essaie d’humaniser ce mythe car  ce n’est pas intéressant de voir une femme soumise sur scène.

Quel est le rapport entre ce que l’on voit et la musique ? La musique  est chargée de l’intensité qui n’est pas nécessairement visible dans les personnages ?

Pour moi c’est un des meilleurs opéras au monde, très court et intense. Cette musique a tant de nuances : les chants, les couleurs, toutes les dix secondes c’est une émotion différente. Avec cette  musique on peut comprendre ce qu’elle ressent, ce qui se passe dans sa tête : c’est de l’émotion pure pendant une heure. En écoutant cette musique les images viennent automatiquement, je les note et je commence à les dessiner La synthèse n’est pas facile elle prend du temps, un an ici. Mais la musique est tellement riche !

Dans le même décor, on passe d’un Barbe-Bleue pudique à un « Mandarin merveilleux », très érotique. Une « pantomime », sans parole rien que la musique, des couleurs, des mouvements dont vous assumez aussi la chorégraphie.

Au début, je pensais travailler avec un chorégraphe mais c’est une pantomime, pas un ballet. Le dialogue avec les danseurs me nourrit, je viens avec mes idées et on fait des essais depuis un an, un travail de longue haleine.J’ai fait du ballet classique entre 12 et 21 ans, et ça m’a aidé. Je comprends comment le corps bouge, ce qu’on peut en  faire. Et puis j’ai sept « performers » incroyables pour cette demi-heure intense au rythme infernal pour l’orchestre. C’est un autre univers que Barbe-Bleue,  beaucoup plus surréaliste, drôle, coloré, presque un dessin animé.

Dans « Barbe-Bleue », le désir est caché, et ici il est complètement extériorisé. C’est le revers  de la même médaille ?

Oui et non, car je pars de l’idée du regard de l’homme vers la femme mais aussi comment regarde le public.  Il est caché dans le noir, mais il est là aussi. Je joue avec les codes : qu’est ce qui est beau, qu’est ce qui ne l’est pas, qu’est ce qui est sensuel, qu’est ce qui ne l’est pas ? Ce n’est pas explicitement sexuel sur scène car je trouve qu’il y a d’autres médias beaucoup plus efficaces pour ça. Mais je joue avec le regard, ce qu’on doit suivre, ce qu’on choisit de suivre.

Ce n’est pas qu’un « beau » spectacle, c’est aussi une histoire de femme exploitée sexuellement.

Oui, mais au lieu de mettre en scène, comme à l’origine, une prostituée avec trois maquereaux j’ai inversé : trois prostituées avec un maquereau, un  » équilibre  » un peu plus intéressant pour moi. Aujourd’hui je ne pense pas qu’on puisse montrer une femme dans un lit avec des hommes qui se succèdent pendant une demi-heure, c’est un peu …pauvre. On est obligés de garder le noyau  de l’histoire mais en même temps on peut ajouter des couches. Aujourd’hui c’est un gros sujet, la position de la femme, on peut donc choisir à quelle partie  de la pantomime on est sensible. En même temps c’est très gai, très drôle.

Comment faites-vous le lien entre les deux œuvres si différentes dans le même décor ?

Le décor est bien le même, mais après cinq minutes du « Mandarin », on a oublié que c’était le décor de Barbe-Bleue, car ça change complètement et on fait tout autre chose. Mais en même temps c’est bien qu’il y ait ce fantôme de Barbe-Bleue, ça aide à raconter la deuxième histoire. Il y a aussi des surprises, mais je ne vais pas tout vous dire!

« Le Château de Barbe-Bleue » et « Le Mandarin merveilleux » de Bela Bartok (mise en scène  de  Christophe Coppens, direction musicale d’Alain Altinoglu).

A la Monnaie du 8 au 24 juin.

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

POST A COMMENT