• Théâtre  • « DEFAUT D’ORIGINE ». L’HUMOUR EXISTENTIEL DE YASMINE LAASSAL SUR SES ORIGINES ARABES. EMOUVANT, NECESSAIRE. CRITIQUE***

« DEFAUT D’ORIGINE ». L’HUMOUR EXISTENTIEL DE YASMINE LAASSAL SUR SES ORIGINES ARABES. EMOUVANT, NECESSAIRE. CRITIQUE***

Sur son lit d’accouchement Jeanine choisit le nom de sa fille, Yasmine, en lisant un Télé 7 jours qui met en couverture Rita Hayworth, dont une fille s’appelle Yasmine. De ce curieux hasard Yasmine gardera une fascination pour les grandes actrices et plus tard pour le métier de comédienne, qui est plus que jamais sa thérapie et son bonheur quotidien.

Un père absent

Un « détail » que « Défaut d’origine » ne dit pas. La fille de Rita Hayworth a pour père légitime l’Aga Khan, excusez du peu.  Celui de Yasmine, Mohamed Laassal est une rencontre de vacances de sa mère, un Marocain intellectuel et riche mais déjà marié, et qui restera chez lui. Elle verra son père une fois tous les deux ans, invitée en vacances au Maroc avec sa mère dans un confortable hôtel où seul le personnel d’accueil est arabe. Cantonnée dans un ghetto blanc par son père. Pendant 12 ans le contact avec Mohamed se limite à des petits coups de téléphone gentils mais distants dont Yasmine sur scène remâche les échos protecteurs si lointains, enfouis. Le père se déplace enfin pour la communion de sa fille : la vraie rencontre, une réconciliation ? Il meurt trois mois plus tard. 

Peu après elle développera une maladie auto-immune qui empoisonne toujours sa vie. Rapport de cause à conséquence ? Nul ne le sait.

Ainsi résumé on pourrait croire à un mélo tragique. Sur le fond oui mais le ton n’est pas du tout plaintif ou agressif, plutôt teinté de mélancolie devant ce temps perdu et cette réconciliation désormais impossible. 

Un nom et un physique racisés 

Mais s’appeler Laassal, avoir des cheveux frisés, un visage typé et plus tard un corps aux courbes orientales, c’est encore plus dur à supporter qu’un père absent. Là aussi Yasmine sur scène s’amuse à un brin d’autodérision avec une imitation drolatique de Maryline Monroe dans sa robe blanche vaporeuse et « sexy » (comme on disait, à l’époque) : une provoc, sourire aux lèvres, qui fait mouche. La question du corps, de sa beauté et de sa soumission à la mode, donc à l’apparence, est centrale.

Les petites perles anecdotiques de sa vie scolaire et de ses aventures théâtrales empêchées se succèdent à un rythme soutenu, dans la mise en scène simple et efficace de sa copine de promotion Bouchra Ezzahir. Le cœur du processus narratif : des photos anciennes ou de femmes aux perruques multicolores, qui ressemblent toutes à Yasmine. Le mystère de ce défilé ne nous sera dévoilé qu’à l’extrême fin, un « coup de théâtre » où l’émotion l’emportera définitivement sur le sourire.

Le théâtre réparateur ?

Entretemps on aura assisté à la vocation théâtrale de Yasmine ado, où une femme prof lui donne la confiance définitive en ses dons, toujours évidents aujourd’hui. Mais à chaque étape de sa vie, dans les petites classes comme dans les grandes on lui aura fait comprendre qu’avec son physique d’Arabe (délicieuse évocation de Charles Martel à la bataille de Poitiers) elle n’est pas faite pour tenir les premiers rôles. On l’a donc assignée à résidence avec un cadeau d’adieu assassin.

« En dernière année ( de Conservatoire) des hommes blancs et bien vivants m’ont dit :

Yasmine, tu es vraiment bien, très bien même, très très très bien, mais tu ne joueras jamais Juliette !

Pourquoi ?

C’est déjà fini ? »

Dans une belle interview sur le site « Grenades » de la RTBF elle confirme :

« J’ai commencé à jouer sur les planches en Belgique à 23 ans, et là j’en ai 46. Deux fois j’ai été engagée pour des rôles avec des prénoms occidentaux. Mon héritage corporel est associé à un groupe – les Marocain·es de Belgique – et les gens, avant même que j’arrive, me collent une histoire qui n’est pas la mienne et projettent sur moi des fantasmes orientalistes.« 

Yasmine Laassal

Alors sous l’humour d’un récit bien rythmé, Yasmine Laassal nous offre comme un petit collier de perles du racisme culturel ordinaire, qui fait de ce conte autobiographique un appel à une réflexion politique actuelle et urgente.

« DEFAUT D’ORIGINE » de Yasmine Laassad et Bouchra Ezzahir

A l’Espace Magh du 17 au 19 novembre (à suivre ?)

Christian Jade 

Photos par Simon Gosselin

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