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Opéra de Paris: « Les Contes d’Hoffmann », m.e.s de Robert Carsen : régal d’intelligence et festin de voix.

Critique :***

Cela fait 23 ans qu’on a découvert Robert Carsen au Festival d’Aix-en-Provence dans un « Orlando » d’Haendel, miraculeux d’évidence : l’intrusion d’un esprit géométrique dans une œuvre baroque, avec le soutien du fougueux William Christie et le rôle titre de castrat tenu par la prodigieuse mezzo Felicity Palmer. Un bonheur qui dure encore ! Ensuite, en Belgique, via l’Opéra des Flandres et son directeur Marc Clémeur, un remarquable cycle Puccini dont une inoubliable « Bohème », puis diverses productions à la Monnaie.

Chaque fois ce fut le même plaisir intense: Robert Carsen nous fait (re)découvrir un opéra à partir d’une idée simple, jamais simpliste, qui conserve l’esprit de l’œuvre tout en l’adaptant à notre époque. Avec un mélange de dépouillement, de sensibilité, d’imagination visuelle et d’humour, qui crée chaque fois la surprise.

Toutes ces qualités se retrouvent dans sa version des « Contes d’Hoffman » d’Offenbach, un « classique » magistral, créé à l’Opéra de Paris en …2000 et repris depuis lors cinq fois avec le même bonheur, dans la même maison. Avec Carsen le romantisme allemand du livret épouse en douceur l’idéal d’un classicisme « mozartien » de la musique, avec l’ombre de Don Giovanni et de Donna Anna, comme fil conducteur de l’ensemble. « L’idée simple » qui donne une nouvelle cohérence à tous les lieux et toutes les incarnations de la femme : tout se passe « dans la tête » d’Hoffmann, Don Juan malheureux, contrehéros en quête d’un idéal féminin, à travers diverses cantatrices, Olympia, Antonia, Giulietta. Et dont Stella est le modèle idéal, incarnant la Donna Anna de Mozart. La synthèse de tous ces fantômes c’est la Muse, du prologue et de l’épilogue, déguisée en un ami masculin d’Hoffmann, Nicklausse. Elle l’assiste dans son labyrinthe de ratages amoureux puis, redevenue muse, lui conseille la création artistique comme remède souverain à toutes ses douleurs.

La scénographie épouse le concept de base, en oubliant le pittoresque initial des lieux, une taverne berlinoise ou la ville de Venise, pour explorer les moindres recoins d’une maison d’opéra. Le prologue nous plonge sur l’immense plateau, la taverne devient le bar de l’opéra, Olympia exécutera son air mortel sur un « plateau sur le plateau « . Antonia loge dans la fosse d’orchestre, surplombée par le plateau d’où surgit le fantôme de sa mère. Enfin Venise devient une salle d’opéra en abîme où le chœur « joue » aussi le public applaudissant le fameux sextuor du 3è acte.

Une mise en abîme  qui unifie tous les thèmes.

Ramon Vargas (Hoffmann) et le choeur dans

Ramon Vargas (Hoffmann) et le choeur dans – © Julien Benhamou

J’ai rarement vu un tel festin d’ « opéra dans l’opéra » avec une double justification : Offenbach pour sa dernière œuvre, juste avant sa mort, voulait passer de « faiseur d’opérettes » délicieuses à « compositeur » d’un  » presque  » vrai « opéra », dans l’ombre du Don Giovanni de Mozart. Offenbach se projetait, via Hoffmann, en un séducteur qui rate toutes ses conquêtes mais qui réussit avec les  » Contes d’Hoffmann  » une incroyable synthèse de tous ses talents et de toutes ses influences, germaniques et françaises. Philippe Jordan qui dirige l’œuvre avec une belle rigueur (qui n’exclut pas de délicieuses petites inventions personnelles) est sur la même longueur d’ondes que Carsen lorsqu’il affirme, dans le programme  » Offenbach compose implicitement un opéra sur lui-même et son besoin de reconnaissance… J’ose dire qu’Offenbach, comme Bizet, est le Mozart français…Il parvient à un équilibre parfait entre le contenu du texte et la musique et comme Mozart fait preuve d’une créativité qui repose pour beaucoup sur la mélodie ».

Nous y voilà : metteur en scène et chef d’orchestre en harmonie, cela se sent, cela se voit. Reste l’interprétation : Paris attendait avec impatience, en Hoffmann, le ténor allemand Jonas Kaufmann, beau ténébreux et génie vocal. Et la jeune Sabine Devieilhe, incarnation inoubliable, cet été, à Aix, de la Beauté dans l’oratorio de Haendel, mis en scène par Warlikowski  » Il trionfo del Tempo e del Disenganno ». Las, tous deux malades, durent se désister. Mais les grandes maisons d’opéra savent trouver des remplaçants de toute grande classe. Le ténor mexicain Ramon Vargas a un aigu somptueux d’une justesse imparable. Et son physique plus  » ingrat « , mais combien vivant, va comme un gant à Hoffmann, après tout un Don Juan qui va d’échec en échec. Cette semaine Vargas  est remplacé par une autre valeur sûre et … » glamour  »  Stefano Secco.

La Muse/Nicklausse androgyne de la mezzo Stéphanie d’Oustrac est totalement convaincante, majestueuse en Muse, drôle en Nicklausse, bonne actrice, voix grave souple et sensuelle. En Olympia, remarquable prise de rôle pour la Biélorusse Nadine Koutcher dans cette partition « pyrotechnique », qui exige aussi des talents comiques. La soprano albanaise Ermoleha Jaho, en Antonia, qui a les airs les plus proches du « grand opéra », fait preuve d’une sûreté vocale aussi bien dans son grand air …mortel que dans ses échanges moins spectaculaires. Giulietta, la prostituée incarnée par la mezzo américaine Kate Aldrich n’a pas de grand air mais un très beau duo avec Hoffman.

 Les « petits rôles » sont tout aussi époustouflants, sans faille, à commencer par  la basse Roberto Tavigliani incarnant avec aplomb et une belle maîtrise vocale les mauvais génies diaboliques (Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Docteur Miracle).Ou Yann Beuron, grande vedette, incarnant tous les valets avec un don comique irrésistible.

Cette belle distribution bénéficie et d’une remarquable conduite d’acteurs de Robert Carsen. Et d’un soutien à la fois brillant et pas écrasant de Philippe Jordan à la tête d’un orchestre de virtuoses parfaitement accordés à la volonté de leur chef.

A défaut de pouvoir vous rendre à Paris cette semaine, guettez la prochaine apparition de ce chef d’œuvre d’Offenbach magnifié par le duo Carsen/Jordan.

« Les Contes d’Hoffmann », m.e.s de Robert Carsen, direction musicale Philippe Jordan.

A l’Opéra de Paris jusqu’au 27 novembre.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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