Les Brigittines en Festival : le rendez-vous de l’étrange, de la sensualité et de l’humour.
« Rompre avec le monde pour le réinventer » : cela fait près de 35 ans que le duo Mossoux- Bonté pratique la formule dans leurs œuvres communes, ou via ce Festival International des Brigittines qui s’achève aujourd’hui. Rompre pour réinventer, casser le rythme pour réfléchir à sa force, pratiquer la soupe à la grimace sans anéantir la poésie : ce théâtre/danse/peinture assis entre 2 ou 3 chaises est à l’image de ce festival planté entre la fin de l’été et le début de l’automne. Recherchant la limite, pour mieux la franchir et nous interroger : et votre limite, cher spectateur, vous la placez où ?
Commençons, paradoxalement par deux spectacles pas encore vus, encore visibles ce soir, en clôture mais dont les lignes de force sont bien dans la logique déjà décrite
Voici « L’affadissement du merveilleux » de la Canadienne Catherine Gaudet, passée au Festival des Amériques au Canada fin mai. Traversés d’émotions et d’affects « les corps, les pas et les gestes se dérèglent progressivement et débouchent sur des libérations de forces ». Mélanie Carpentier notre collègue canadienne du « Devoir » l’a vécu ainsi : Une sensualité presque dérangeante parce qu’étrange et tordue s’éprend des corps, qui finissent par ruisseler de sueur. L’endurante et viscérale chorégraphie leur arrache des râles, vocalises, gémissements, essoufflements. Malgré la légèreté recherchée au détour d’une pointe d’humour, une violence apparente habite les cinq performeurs poussés jusqu’à l’épuisement dans leur transe « .
Transfiguration
– © Solve Sundsbo
Voici aussi le peintre, sculpteur et performeur Olivier de Sagazan, hanté par le thème de la métamorphose et qui dans « Transfigurations » met en scène le désir du sculpteur de donner vie à sa création et son insatisfaction de ne pas y parvenir « . Une frustration très « Mossoux Bonté ». Et un rituel entre transe et danse, avec comme cible un visage défiguré par des couches de peinture. Un clin d’œil à la fois à l’art but et (pour moi) à la performance en Avignon (2006) du beau duo Paso Doble de Josef Nadj et Miguel Barcelo, plongés dans un bain de peinture jouissive. Ici la joie semble proche de l’angoisse existentielle.
L’affadissement du merveilleux (20H30) et Transfigurations(19h) ce soir aux Brigittines
Pour le reste du festival de 3 semaines, j’ai adoré la soirée composée du mercredi 28 avec un extraordinaire solo de Daniela Zaghani orchestré par Cyndy Van Acker (le premier d’une série de solos, à suivre !!). Dans Mélancolie de l’espace le corps de la danseuse reproduit à l’infini un exercice d’équilibre précis, mathématique, où les mains et le corps pliés, dépliés, déployés occupent doucement l’espace sur une musique quasi sacrée de Ryoji Ikeda. Le beau visage de Madone impassible de Daniela Zaghani donne à sa démarche la forme d’un rituel de maîtrise du corps en équilibre (faussement) instable.
Beaucoup aimé aussi le duo de Ginevra Panzetti et Enrico Ticconi qui nous offraient une version à la fois humoristique et habitée de la figure d’Arlequin. Dans Harleking, la ruse comique est répartie équitablement sur un homme et une femme (le thème du double, dopplegänger ou twins, une constante du duo Mossoux /Bonté). Mais on admire à la fois les symétries et les dissonances de cette parodie jubilatoire du pouvoir, avec une veine clownesque irrésistible du visage de Ginevra Panzetti.
La soirée s’achevait par un solo plus rêveur, plus métaphysique de la Portugaise Tania Carvalho, Grasped by intuition, une sorte de « nocturne » fascinant, où la longue robe noire de l’interprète laissait la parole et la suggestion aux mains habiles luttant contre ses démons intérieurs. Ce clair-obscur fascinant sur une musique répétitive du groupe minimaliste XNX laissait la place à nos propres angoisses bercées par la délicate beauté du propos.
Dans la même veine lente et poétique Habiter de Katia-Marie Germain, une « nature morte » aussi basée sur la gémellité et rythmée de longs noirs interruptifs, nous a paru fort maniériste et inutilement long, une fois défini le modus operandi visuel.
Quant à la veine humoristique, hors le merveilleux Harleking, elle nous a paru inégale, basée essentiellement sur les horreurs du couple. Troubles du rythme, de Man Drake et Tomeo Vergès démarre bien dans l’horreur des cris inaboutis, seul langage d’un couple en déroute. Mais la dispersion des colères et malentendus dans l’espace perd petit à petit de son efficacité et le manque de moteur narratif finit par disperser l’attention.
Plus drôle mais inégal dans ses duos de couple agressif jusqu’au… coup, Horion de Malika Djardi met en scène Adam (Nestor Garcia Dia) et Eve (Mailka), hic et nunc. On admire le travail sur le son produit par le couple lui-même dans un beau rythme narratif et des surprises comiques. Mais la partie verbale nous a souvent laissé sur notre faim, comme si le texte de cette BD dansée n’était pas à la hauteur des images mobiles par ailleurs très performantes.
Au total, un beau festival des Brigittines 2019 avec ses prises de risques et ses très bonnes surprises. As usual. Vivement l’édition 2020!
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