FESTIVAL BRIGITTINES 2018. Une époque toxique ? L’art, le rythme, l’imaginaire, l’humour comme antidotes.
La ravissante Chapelle des Brigittines, dédoublée comme le spectacle fétiche de la Compagnie Mossoux-Bonté » Twin Houses « , accueille fin août un festival international de danse. Son originalité ? Il est conçu comme une extension du monde très particulier du duo Bonté/Mossoux qui accorde théâtre et danse et prête une attention forte aux arts plastiques et à la création musicale. Un jeu de miroirs réfracte les inquiétudes existentielles, le clair-obscur des contradictions et crée un climat d’ » inquiétante étrangeté » très freudien, où le corps se déploie dans sa beauté parfois convulsive, parfois jouissive.
Cela fait 23 ans qu’on fréquente, fin août, cette auberge raffinée où on attend les nouvelles recettes du Chef avec impatience. Patrick Bonté baptise sa carte différemment chaque année pour rassembler ses trouvailles en un bouquet commun. A la » toxicité » ambiante de la société (égoïste, sophiste, hypothéquant l’avenir, privilégiant la logique du chiffre sur l’humain) il oppose, sans illusions excessives, nos » attentes d’ailleurs « , d’autrement « vécues dans des » mondes singuliers « . Les deux premiers spectacles vus, » Titans » et » Oskara » confirment cette logique d’exploration risquée qui vous laisse avec plus de questions que de réponses. Nous y reviendrons.
Mais d’abord un avant -goût de la suite visible ce soir et demain soir.
Une riche semaine en perspective.
– © Rania Moslam
Ce vendredi 25 (et demain samedi 26) une soirée composée de pas moins de 3 spectacles, 2 solos dans la salle Mezzo à 19H et un sextuor de Virgilio Sieni à 20H30 » Cantico dei Cantici » sur le plus beau poème d’amour charnel de la Bible, attribué au Roi Salomon. Un couple multiplié par trois forme un » entrelacs de personnes …un foisonnement presque abstrait alors que la chair demeure présente, ténébreuse, vive « . Les deux solos » apéritifs » à 19H alternent poésie et humour. » Une traversée de la nuit comme un brillant météore » à la fois épuré et inquiet, c’est » Von » proposé par Daniele Veronese. Un jeu humoristique ( » Que du bonheur « ) pour déconstruire les clichés féminins, de la femme parfaite, ménagère, à la guerrière ancestrale. Au rythme implacable d’un métronome hypnotique : une proposition de Tomeo Vergès interprétée par Sandrine Maisonneuve.
Un bonus, samedi : à 22H, » Bang Bang « , de la Cie Manuel Roque, une performance quasi olympique sur le besoin de se dépasser, de se perdre pour mieux se trouver. Regard en coin, métaphorique, sur notre » stress » quotidien et nos petits défis dérisoires.
La semaine suivante sera tout aussi riche avec Simon Mayer et ses » Sons of Sissy » (attention une seule représentation le lundi 27) tournant en dérision les conventions du masculin dans un univers très » marqué « , le Tyrol, ses yodles et ses danses villageoises viriles.
Très attendue aussi la dernière œuvre de Salvo Sanchis » Radical Light « . Le rythme comme défi (120 pulsations minutes) pour arriver à la transe par une » grâce énergétique » d’une grande rigueur stylistique. Intéressant aussi le jeune Louis Vanhaverbeke découvert cette année au KFDA dans un étourdissant » Mikado Remix » qui traitait avec humour l’enfermement, la prison. » Multiverse » semble basé sur le même principe. Slammer le monde avec des objets hétéroclites, banals et nous entraîner dans un imaginaire presque circassien ici sur le thème du » genre « . Le surréalisme, version flamande, concrète et rythmée.
Pendant 3 jours (du 27 au 29) vous pourrez aussi pimenter votre programme par un bel apéritif à 19h » Scarabeo » d’Andrea Costanzo jouant sur le scarabée céleste, signe de renaissance et le » scrabble » qui permet un puzzle narratif où l’humour absurde se glisse dans les fentes du récit !
En fin de semaine vous pourrez revoir » A taste of poison « de la Cie Mossoux Bonté, le plus politique de tous ces doux délires, une réflexion basée sur les dérives de la science et notre société » toxique « . Humour grinçant, parodie. Un scalpel d’une implacable précision. .
Les 2 performances inaugurales.
– © Pierre Balacey
Un bref retour en arrière :
» Les Titans » du Grec Euripides Laskaridis, mondialement réputé mais décevant ici. Il créée de belles images et des situations cocasses sur le vague thème des premiers dieux déchus, transformés ici en un couple improbable : un homme enceint, se voulant femme, avec des petites performances comiques qui tombent souvent à plat, faute d’un minimum de fil conducteur. Un peu comme si le décor et l’habileté à le transformer prenait le dessus sur le récit ou le thème à développer. Un savoir faire qui tourne à vide pendant 1H20. Te veel.
» Oskara » un beau duo basco-catalan, construit et séduisant ***
Intéressant par contre » Oskara » une union réussie de la danse folklorique basque du groupe Kukai Danza et du modernisme catalan de Marcos Moreau dont le dramaturge est Pablo Gisbert, du groupe catalan Conde de Torrefiel, révélé ci par le KFDA. Très construit, à partir d’une interrogation sur la mort et le délire intérieur. Très rythmé par quatre danseurs qui interrogent subtilement le masculin et le féminin …et l’identité basque via un remarquable chanteur, Thierry Biscary qui insuffle une émotion sereine et vibrante à la fois. Avec une parfaite coordination de groupe, une blanche élégance des costumes et du décor et un dialogue paisible des régions les plus turbulentes d’Espagne dans un art qui dépasse leur régionalisme d’origine. Une belle réussite.
Le Festival international des Brigittines jusqu’au 1er septembre.
Infos: www.brigittines.be/fr/
Christian Jade (RTBF.be)
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