• Théâtre  • « L’Ange de feu » de Prokofiev. Un mysticisme féminin exacerbé, une partition fulgurante. Le 1er choc d’Aix 2018 ****

« L’Ange de feu » de Prokofiev. Un mysticisme féminin exacerbé, une partition fulgurante. Le 1er choc d’Aix 2018 ****

Curieuse destinée que cet « Ange de feu » de Prokofiev. Au point de départ c’est la vie d’un de ses amis, le poète symboliste russe Valéri Brioussov transposant sa relation tourmentée avec la poétesse Nina Petrovskaïa en un roman à clef transposé en XVIè siècle. Une époque rendant encore plus vraisemblable les crises de mysticisme érotique de Renata, amoureuse depuis son enfance d’un ange, Madiel réincarné en un Allemand, Heinrich qui la fuit.

Elle le poursuit en utilisant une 3è homme, Ruprecht qu’elle manipule totalement dans un jeu infernal du chat et de la souris où elle lui promet son amour s’il tue son rival. Un trio sadomasochiste infernal, intensifié par des prises de drogue, la perversion de tout un couvent de nonnes, l’exorcisme de Renata par un Inquisiteur et la rencontre de Faust et Méphisto. On rode perpétuellement de la réalité au délire, du sexe à la drogue, de la religion au mythe. Comment en rendre compte, musicalement et scéniquement ?

Prokofiev a adapté lui-même le roman touffu pour que sa musique, d’un incroyable profusion expressionniste coïncide mieux avec ce récit échevelé. Il a resserré l’intrigue autour dz Renata et de sa relation délirante avec Ruprecht ce qui exige des deux interprètes principaux une présence quasi constante pendant près de deux heures. Et une endurance vocale stupéfiante de la part de la soprano lithuanienne Ausriné Stundyté et du baryton américain Scott Hendrickx. La présence de ces deux interprètes d’une justesse prodigieuse, vocale et scénique, est un des grands bonheurs de la soirée. L’autre est de retrouver à la tête de l’orchestre de Paris Kazuchi Ono, longtemps directeur musical à la Monnaie, puis à Lyon et qui donne une vision lumineuse de cet Ange de feu d’une complexité foisonnante, d’une expressivité lyrique et sarcastique inouïes.  Reste que la beauté de la musique et la qualité des interprètes (tous les interprètes) ne suffit pas à faire une grande soirée d’opéra. A lire le résumé initial on se dit : mission impossible de rendre clair ce brouillamini mystico-érotico sadique, suspendu entre rêve et réalité,

Une mise en scène souple, rigoureuse, vibrante de Mariusz Trelinski.

– © Pascal Victor

C’est le grand mérite du metteur en scène Polonais Mariusz Trelinski, d’avoir trouvé un cadre idéal pour traiter les niveaux complexes de l’action en rendant « vraisemblables » et passionnants ces délires contradictoires. D’abord il transpose l’histoire à notre époque et nous fait le portrait d’une obsédée sexuelle contemporaine, passant du délire à la réalité, de la drogue au mysticisme par des moyens modernes. Un énorme cadre scénique à plusieurs  » tiroirs  » permet de passer d’un certain réalisme (une chambre d’hôtel, un appartement, un établissement tenu par des nonnes) aux scènes délirantes.  Figurées sur des écrans disséminés dans le grand cadre, elles  illustrent  ce délire obsessionnel qui fait de Ruprecht le jouet d’une illuminée. « J’aimerais dit Trelinski, qu’en regardant « L’Ange de feu » on apprécie la beauté de l’échec de nos meilleures intentions, dans la relation amoureuse. Et que l’on s’émerveille de notre impuissance face à la vie ». Ses intentions sont parfaitement illustrées comme si de Brioussov à Prokofiev et de Prokofiev à Trelinski un fil mystérieux reliait un immense désespoir d’amour, porté par une écriture fiévreuse, une musique déchirante et une intelligence visuelle. Une révélation pour un opéra rarement joué.

« L’Ange de feu » de Serge Prokofiev, mis en scène de Mariuz Trelinski, direction musicale Kazuchi ONO.

A Aix-en-Provence jusqu’au 15 juillet. Sur France Musique (direct) le 13 juillet. En différé sur France Télévisions.

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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