• Théâtre  • KFDA 2017:carnet de route 3. D’Ayelen Parolin à Thomas Bellinck. Passion et raison.

KFDA 2017:carnet de route 3. D’Ayelen Parolin à Thomas Bellinck. Passion et raison.

Autoctonos’ d’ Ayelen Parolin : humour, passion, intensité rythmique.(jusqu’au 27 mai)

 ‘Autoctonos(autochtones) est la dernière chorégraphie d’une Argentine de Bruxelles, Ayelen Parolin, un vrai ‘personnage’ dans le paysage culturel bruxellois et international. Formée à la danse contemporaine classique à Buenos Aires, elle se ‘modernise’ à  Montpellier (avec Mathilde Monnier).  Sa carrière belge commence par un tour de force : ’25-06-1976’, sa date de naissance, est  le titre de son premier solo autobiographique décalé où elle se  raconte en dansant. Elle avait  27 ans et ce solo, repris et adapté en fonction de …son âge, est sa marque de fabrique : n’en faire qu’à sa tête, poursuivre son chemin et ses intuitions avec deux forces qui nous la rendent chère : son humour, son sens de l’autodérision, très argentin, en théâtre comme en danse. Et son goût de la recherche: sa ‘grammaire’ évolue, elle ne fait jamais 2 fois le même spectacle, mais avec une constante, le rythme, répétitif et/ou expansif,  fondamental même quand elle le réduit, parfois, au minimum.

 

Dans Troupeau/Rebano, elle mettait en scène des danseurs/moutons et explore l’animal en nous. Avec ‘SMS and Love’ elle caricaturait une bande de copines, leurs féminité  à fleur de peau et leurs amours ‘sms-iques’. David explorait, au ralenti, la masculinité, via la statue de Michel Ange. Avec Hérétiques elle prend un virage abstrait : à partir  d’une partition de piano de Lea Petra  (qu’on retrouve, superbement inspirée dans ‘Autoctonos’), elle décrit avec 2 danseurs utilisant surtout leurs bras, et des (dys)symétries triangulaires, la réalité sociale pénible, comme un rituel de passage. Son avant-dernière chorégraphie ‘Nativos’, avec des danseurs coréens. (mais visible programmé par le théâtre des Doms  au Festival d’Avignon, dans le cadre des Hivernales (09-17juillet))

Ici dans ‘Autoctonos’, le thème social s’amplifie : c’est quoi être  autochtone/allochtone, c’est quoi la différence pour s’intégrer ? C’est quoi cette société de la performance qui oblige chacun à être positif, beau, harmonieux ? Alors les 4 danseuses /performeuses brisent ces codes ‘bienséants’ jouent sur la négativité, la laideur, la grimace, la douleur, la disharmonie, la différence. Elles exposent leurs désirs, une des constantes chez Parolin où le sexe n’est ni caché ni exhibitionniste : simplement au centre de sa toile chorégraphique, sans honte et sans pudeur, comme  une source de vie et d’expressivité chorégraphique.

Au début les 4 danseuses sont comme un bouquet de fruits exotiques,  avec la tête garnie de fleurs en plastique ou d’un coussin noir ou d’une ‘fraise’ issue  de portraits de notables par Frans Hals ou Rembrandt ! Décalage humoristique  dans le temps alors que jeans et shorts contemporains nous ramènent vite dans notre univers. Dans les thème et variations qui  suivent, deux phases : l’affirmation de la puissance des 4 performeuses à occuper l’espace en profondeur et en largeur et à se coordonner à 4 ou en duos. Au bout de 20 minutes on se lasse un peu de cette performance qui semble tourner à vide. Un quart d’heure plus tard le spectacle repart en flèche par un solo en forme de transe qui mène  Varinia Canto Vila au bord de l’épuisement. Chacune des interprètes aura alors  son moment de grâce avec notamment Aymara Parola, Argentine adoptée par Wim Vandekeybus, hyperdouée dans le ralenti comme dans l’accélération, la ruade frontale ou la reptation au sol. Elle s’affirme comme la source rythmique permanente du groupe, en parfaite coordination avec la pianiste Lea Petra, utilisant toutes les possibilités du piano, de la caisse de bois tapotée, aux touches aux sons étouffés n’éclatant en force qu’au final ‘Autoctonos’, cette ‘performance’, qui se moque de la ‘performance’ fut longuement acclamée à la première car elle fait, à mon sens, la synthèse de ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, à la performance, à la beauté, à l’harmonie. Beauté de la dissonance, harmonie des contraires, performance cassée et aussitôt reconstruite. Comme ce piano tour à tour muet et éclatant.

Christian Jade (RTBF.be)

 

 

Thomas Bellinck/Robin: ‘Simple as ABC # 2’ : une comédie musicale ‘engagée’(jusqu’au 27 mai).

– © Laura Van Severen

La critique de la politique migratoire de l’Europe et de son bras armé Frontex c’est ‘mode’ : le groupe Nimis en a fait une brillante démonstration avec des acteurs africains au Théâtre National l’an dernier. Son caractère à la fois documentaire, démonstratif et humain, avec la présence sur scène des victimes et des ‘bourreaux’ m’avait ému à défaut de me convaincre totalement, dans sa démonstration.

 L’analyse de Thomas Bellinck part elle aussi d’interviews ‘réelles’, documentaires donc, sur la politique migratoire de l’Europe. Son objectif : démonter le ‘système’ qui transforme des êtres humains, les migrants non désirés, en objets de contrebande, aussi criminalisés que de la drogue ou des kalachnikovs. Et prouver que la politique migratoire  devenue simple ‘management’ fait partie d’un système informatique qui nous vise tous. On trouve cette thèse dans n’importe quel article un peu élaboré de notre journal de référence, du Monde Diplomatique à Médiapart ou même, moins ‘engagés’, le Monde, Le Soir ou De Standaard. Alors comment ‘traduire’ cette analyse conceptuelle dans un langage théâtral non réaliste et néanmoins efficace ? Bellinck affirme qu’il a ‘fictionnalisé’ son texte pour cacher ses sources directes. De fait certains de mes confrères y ont vu une  » fable  » politique. Encore faut-il croire à cette fable :ce ne fut pas mon cas. Pourtant Bellinck a pris soin d’’emballer’ sa démonstration un peu aride dans la forme d’une ‘comédie musicale’. Avantage : ‘c’est un genre, dit Thomas Bellinck, .qui dissocie forme et contenu et (crée) une distance par rapport au naturalisme’ Avec la boutade ‘Si vous ne pouvez pas le dire, chantez-le, si vous ne pouvez pas le chanter, dansez-le’. Et de fait la majeure partie de l’œuvre est chantée sur un plateau tournant qui fait dansoter les 2 protagonistes avec un orchestre live sur une partition de Joris Blankaert. Ce parti-pris d’abstraction dans le texte et de légèreté ironique dans la musique et la danse m’ont intéressé quelques minutes. J’ai ressenti ce mélange  comme une vraie interrogation au public : vous traitez ‘légèrement’ le problème  de l’immigration et bien on va se mettre à votre niveau de compréhension, avec une  musique ’légère’, pas ‘dérangeante’. Mais au bout d’une demi-heure le mélange entre l’huile de la pensée et l’eau de la musique est resté en suspension dans ma tête comme dans une éprouvette expérimentale, avec un refus presque physique de mélanger les 2. En peinture, j’adore, entre autres, l’abstraction concrète, de Cézanne à Braque, de Picasso à Nicolas de Stael. Avec les mots et les concepts c’est plus dur. Mais le KFDA est là pour ça : nous présenter des projets expérimentaux qui osent des paris mêlant tous les codes. Et misent sur des personnalités prometteuses. Thomas Bellinck(34 ans) est de ceux-là. Suite au prochain numéro.

www.kfda.be

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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