« Absence de guerre » (David Hare):un laboratoire passionnant d’une trahison de gauche.
Critique:***
Ce spectacle, tiré de la réalité politique anglaise du début des années des années 1990, est inspiré par un leader travailliste oublié mais pas de ceux qui s’intéressent à l’Europe politique.. Neil Kinnock, né d’un père mineur, a affronté successivement Thatcher, » la mère tape dur » et son successeur, John Major, alors qu’il était le leader du parti travailliste. Il a peu soutenu les grèves des mineurs contre Thatcher. Et il est le pire ennemi de l’actuel leader de gauche des travaillistes, Jérémy Corbyn. Après deux défaites électorales (objet de la pièce) il a mené une carrière paisible aux Parlements britannique puis européen, et à la Commission dont il fut vice-président. La Reine d’Angleterre l’a ennobli, comme sa femme. Le Baron Kinnock siège donc à la Chambre des Lords avec Madame la Baronne. A père mineur fils Baron. Méritocratie ? Ou trahison ?
Dans « Absence de guerre » il est le protagoniste, George Jones, en train de perdre sa deuxième bataille électorale .Neil Kinnock, qui adorait le théâtre, a introduit le loup dans sa bergerie, l’homme de théâtre et scénariste de cinéma David Hare sympathisant travailliste. Les sondages le donnaient vainqueur et la pièce devait être son » couronnement « .Mais Absence de guerre basé sur l’échec de Neil Kinnock sonne terriblement actuel par l’étude d’un cas flagrant de » trahison » des valeurs de gauche par un « social démocrate ». A la même époque (fin 1980/début 1990) en Belgique, on passait de Cools à Spitaels et on allait bientôt connaître l’affaire Agusta.
Un laboratoire de trahison
» Absence de guerre » permet d’entrer dans le laboratoire de cette » trahison » de la gauche, engagée traditionnellement du côté de la classe ouvrière et qui se convertit au capitalisme de manière accélérée. Le parti travailliste anglais n’essaiera plus jamais de corriger les dégâts produits par Thatcher et ce virage de la gauche vers le centre-droit sera encore accentué par Tony Blair et se propagera à l’Europe.
La pièce de David Hare raconte, en 1993, sous forme d’un excellent feuilleton, comment l’équipe qui entoure Kinnock/Jones s’y est prise pour convertir un leader encore porteur de quelques valeurs de gauche en un « produit » sans consistance idéologique .Et qui du coup ne rassemblera même plus ses électeurs « naturels ». Entrer dans cette pièce c’est comme soulever une pierre et en-dessous grouille une fourmilière se préparant à la guerre : le titre est évidemment pure ironie !
Passionnants (ou écœurants ?) ces affrontements au sein du cabinet, cette » guerre » que se font les différents clans, les conseillers, les communicants, les spécialistes en sondages, les « spin-doctor’s » comme on les appelle en Grande Bretagne..Pour eux la » communication » est plus importante que le message, le contenu. La question centrale : jusqu’où garder ses convictions si on veut gagner en politique ? Dans la pièce il y a comme un murmure de « gauche à l’ancienne » chez une conseillère et chez le leader rebaptisé George Jones, qui se souvient parfois qu’il a des convictions sociales en plus de son goût du pouvoir.
Une dynamique de série télévisée
Cette pièce à l’anglo-saxonne a une dynamique de série télévisée, avec des rôles secondaires percutants, qui varient les rythmes et qui grâce à une élocution et une projection de la voix impeccables se font fort bien entendre dans cet espace du Théâtre Océan Nord dont l’acoustique n’est pas terrible. Ils sont énergiques sans hurler ni murmurer. Pas besoin avec ceux-là de micro : quel bonheur ! Didier De Neck, dans le rôle principal est passionnant .Il joue « juste » toutes les nuances et les états d’âme de ce politicien même pas antipathique ! Il n’écrase pas son équipe mais comme acteur principal il règne naturellement, » en majesté » ! Un de ses tout grands rôles. La direction d’acteurs d’Olivier Boudon » rester sexy, y être, y croire » fait merveille.
Du très bon théâtre à l’anglo-saxonne, une caricature des années nonante…très actuelle.
» L’absence de guerre « de David Hare, m.e.s Olivier Boudon, au Théâtre Océan Nord jusqu’au 29 octobre. http://www.oceannord.org/
Christian Jade (RTBF.be)
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