Joël Pommerat. « Ça ira(1). Fin de Louis. » Le tumulte de l’Histoire envahit le plateau.
Le Théâtre National accueille du 11 au 15 octobre « Ça ira (1) Fin de Louis » de Joël Pommerat. Un spectacle de 4H30 qui commence à 19H.
Les 2 premières parties avaient été présentées en septembre 2015 dans le cadre de Mons 2015. La version intégrale en 3 parties, créée aux Amandiers de Nanterre est reprise au National cette semaine.
Ci-dessous vous trouverez:
– mes » impressions » sur l’œuvre présentée à Mons 2015
– une interview de Joël Pommerat à la même époque sur son choix de la Révolution française et d’un théâtre épique.
On nous annonçait une première du « Ça ira » de Joël Pommerat pour Mons 2015. On a eu droit aux deux tiers de l’œuvre et à une séance de travail passionnante. Pommerat, un maître de l’intime s’explique sur son goût de l’épopée et du politique.
On n’a pas à « critiquer » une symphonie inachevée. Tout au plus à rendre compte du canevas d’ensemble et des impressions contrastées créées par une œuvre « inhabituelle », qui « brouille » les pistes par rapport à l’idée qu’on se fait de Pommerat. Pas pour rien qu’il a baptisé sa compagnie « Louis Brouillard ». Il aime être là où on ne l’attend pas, se lancer des défis plutôt que de cultiver ses habitudes.
Donc adieu l’intime et que vive l’épopée. On est face à un grand poème apparemment cacophonique- mais très bien construit et orchestré- sur la Révolution française, vue non par des héros (Danton, Robespierre, Marat) mais des petits-« la France d’en bas »- aux prises avec les grandes idées collectives. Le Roi (et sa Reine et son entourage de nobles et de haut clergé, en costumes contemporains) est le fil conducteur peu présent, sinon comme clef de voûte du débat collectif. De concession en répression, de calcul sournois en guerre civile déclarée ses revirements, incarnés par des « premiers ministres » contrastés, sont surtout l’occasion d’affrontements-verbaux féroces entre les modérés et les « jusqu’au boutistes » au sein des États généraux du Tiers État convoqués en 1789 par le Roi lui-même. Les spectateurs sont entraînés dans la valse puisque des acteurs disséminés dans la salle applaudissent ou hurlent leur désapprobation, sans toutefois prendre le public en otage « actif » comme c’est la mode. Ce côté « assemblée libre fouillis » m’a un peu fait penser aux interminables affrontements verbaux de mai 68, alors que des amis plus jeunes étaient ravis de ce chahut bouillonnant qui donnait à la politique une ferveur bien oubliée. De ce point de vue, cette œuvre encore « en progrès » rend bien l’intention de son créateur : nous plonger dans les racines toujours présentes d’où ont surgi nos valeurs politiques fondamentales.
Interview de Joël Pommerat.
– © Elisabeth Carecchio
Interview de Joël Pommerat.
CJ : Pourquoi vouloir un théâtre épique alors que vous êtes plutôt un maître de l’intime ?
JP : Ce n’est pas la première fois que j’aborde l’épique dans la vingtaine de spectacles que j’ai créés. Mais dans « Les Marchands« , « Au monde« , « La chambre froide« , « Je tremble« , je mêlais deux choses contradictoires, l’épique et l’intime. Avec « Ca ira » c’est ma première épopée « pure » d’où les sentiments, l’intime sont absents. Cela fait longtemps que j’y pensais mais c’est l’invitation d’Olivier Py à me produire dans la Cour d’Honneur d’Avignon cette année (avec un voyage, ensuite dans les grandes villes européennes) qui a donné corps à ce vieux rêve. Malheureusement des ennuis de santé et l’ampleur du projet m’ont empêché de l’achever pour juillet et même pour Mons 2015.Je n’ai aucune envie de bâcler un projet aussi ambitieux ou de tricher en allant au plus pressé. Ce projet a sa logique que j’appliquerai jusqu’au bout et la « première » complète aura lieu aux Amandiers de Nanterre en novembre (du 4 au 29).
CJ : La Révolution française est toujours actuelle ?
JP : Il ne s’agit pas d’un projet idéologique mais ce sujet historique me permet de montrer « par capillarité », à quel point on est à peine sorti des problèmes du XXè siècle, clairement reliés à la Révolution française et ses conséquences en France mais aussi dans le monde entier. Cette Révolution a façonné nos manières de penser le monde et d’agir. Pour moi ce n’est pas du « passé dépassé », ce sont nos racines, encore actives. En outre je suis surpris qu’hormis « La mort de Danton« , de Büchner, il y ait si peu de pièces de théâtre sur cette époque(1) alors qu’on va rechercher des mythes dans la tragédie grecque. Or pour moi la mythologie de cette période historique a formé de nouveaux héros mythiques. Danton, Marat, Robespierre valent bien les Achille, Agamemnon et Hector antiques.
CJ : Sur quelles sources vous appuyez-vous pour faire renaître cette époque ?
JP : Mon principe est l’étude fouillée de la chronologie des événements. Je veux, un peu naïvement peut-être, étudier le déroulement des faits pour établir une sorte de « révolution au jour le jour » de 1787 à 1793. A partir de là j’ai lu d’autres bouquins pour établir une distance, dégager un point de vue. J’ai collaboré avec un jeune historien, Guillaume Mazeau. Le but n’est pas de trouver mon historien préféré mais de rendre compte ce qui faisait débat et controverse pour comprendre l’instrumentalisation de la Révolution à des fins politiques contemporaines.
CJ : Comment reliez-vous ces événements passés à aujourd’hui ?
JP :En tant que metteur en scène de théâtre, ma préoccupation est de rendre ces personnages vivants, présents, pas au sens « actuel ». Je ne veux pas ramener le présent dans le passé mais mettre le spectateur dans la position d’un contemporain des événements révolutionnaires. A partir de là j’essaie de traiter les événements de la Révolution avec la plus grande fidélité historique possible. Mais ma mise en scène part d’une conviction: presque rien ne nous sépare de cette époque. 225 ans ont passé mais c’est avant-hier. On continue à « penser » la politique de la même façon, dans le même moule, sans en avoir conscience. C’est au spectateur, pas à moi de faire des analogies avec notre monde actuel.
CJ : Quelles difficultés techniques avez-vous éprouvées à construire cette fresque épique?
Ce qui me trouble dans cette époque, c’est la foule d’acteurs différents au-delà des figures centrales de Danton, Marat ou Robespierre. J’essaie de rendre compte de ce fourmillement de personnages dont il faut faire la synthèse. Ici à Mons vous avez assisté à un « travail en devenir ». C’est facile de faire un truc maîtrisé, j’en ai l’habitude. Mais avec ce sujet, je préfère que ça déborde, que ça sature même. J’aime organiser cette cohue, trouver un équilibre dans cette spontanéité et cette violence et une intelligence dans ce chaos. Ce théâtre épique essaie d’épouser les contours d’une Révolution, qui s’est construite au jour le jour, dans la douleur et l’improvisation. Je ne prends aucun plaisir à provoquer de la violence mais je veux rester fidèle au climat de l’époque. Alors oui cela donne parfois l’impression que le sujet me déborde, mais j’aime me mettre en danger avec des acteurs complices. L’important c’est que la violence exprimée reste dans le cadre du symbolique.
Note (1) Joel Pommerat oublie quand même, dans les années 60, le Marat-Sade de Peter Weiss adapté au cinéma par Peter Brook; dans les années 70 les pièces d’Ariane Mouchkine et son Théâtre du Soleil (1789, I793) et puis plus rien sauf récemment Notre terreur de Sylvain Creuzevault, Théâtre de La Colline 2009. En Belgique on a découvert du même Creuzevault Le Capital et son singe au KFDA 2015)
Ca ira(1). Fin de Louis. » de Joël Pommerat.
Vu à Manège.Mons comme « étape de travail ». Première aux Amandiers de Nanterre (du 4 au 29 novembre). Au Théâtre National au cours de la saison 2016/2017.
Christian Jade (RTBF.be)
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