• Théâtre  • Philippe Van Kessel, hommage à un Prince mélancolique.
Philippe Van Kessel

Philippe Van Kessel, hommage à un Prince mélancolique.

Philippe Van Kessel décédé, quelle émotion intime. Une grande partie de mon amour du théâtre contemporain vient de lui. Signe du destin, je l’ai croisé pour la dernière fois à l’enterrement de l’adorable Nadine Lamotte, un des visages souriants du National. Philippe, comme un fantôme hamletien, reparu furtivement là, était quasi invisible depuis sa retraite de la direction du National en 2005.

Mon premier souvenir de lui : au Théâtre de Poche au début des années 70, acteur nu (atteinte aux bonnes mœurs à l’époque !) dans « Et ils passèrent des menottes aux fleurs » : un pamphlet anti-franquiste de Fernando Arrabal où la nudité de l’acteur au-delà de la « provoc » mettait d’abord en évidence l’horreur de la mort par le garrot, la rupture sadique du cou.  Franco n’est mort qu’en 1975. Philippe avait pour partenaire de jeu …Marion Hänsel, pas encore connue comme cinéaste et à laquelle les Magritte rendent hommage ce soir. Marion Hänsel disparue dans les brumes du premier Covid en 2020.

L’autre souvenir (de ceux qui vous marquent à vie) c’est la mise en scène, au début des années 80, de « Ella » d’Herbert Achterternbusch, où dans une cage avec de vraies poules un fils évoque par borborygmes confus la parole disloquée d’une mère quasi morte à ses côtés. Un théâtre de la cruauté dans la lignée d’Artaud.  Le jeune John Dobrynine y tenait, pour moi, « le » rôle de sa vie. Inoubliable.

Paradoxe : j’ai été voir « Ella » « live » au premier Atelier Ste Anne, rue de la Paille, après l’avoir vue à la TV. Occasion d’un premier dialogue avec « Van Kess » qui n’en revenait pas que la TV puisse donner l’envie du direct ! A méditer en ces temps de Covid. Il existe donc une version enregistrée d’ « Ella » par la RTBF (passée à la Sonuma ??).

Bien plus tard Philippe reviendra à ce dialogue mère /fils dans un contexte plus explicite de résistance au régime nazi dans « Le courage de ma mère » de Tabori. Avec, en sous-texte, un hommage à sa mère Françoise, peintre, galériste qui lui confia bien tardivement, me semble-t-il, ses origines juives, occasion d’un intime bouleversement.

Dans les faits Philippe était avec Marc Liebens, Philippe Sireuil et Patrick Roegiers un des mousquetaires du « jeune théâtre » des années 70, luttant essentiellement contre la suprématie du National et donc de Jacques Huisman dont il hérita finalement la couronne. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur cadeau que lui ait fait le destin. Pris dans les turbulences administratives et financières d’une énorme machine en transition, noyé dans un déménagement tumultueux du Centre Rogier, rattrapé par les ambitions de ses contemporains ou de plus jeunes générations il s’en est allé, meurtri de l’intérieur. Je n’étais pas de ses intimes mais sa « disparition » est de l’ordre du mystère intime et de la blessure. 

Hommage donc au metteur en scène et à l’homme sensible aux fortes convictions de gauche, qui importa Brecht comme toute sa génération (Dialogues d’exilés) mais aussi un nombre considérable d’auteurs germaniques majeurs : Karl Valentin, Peter Handke(« Le pupille veut être tuteur »), Fassbinder (« Liberté à Brème »), Botho Strauss (« Trilogie du Revoir ») sans compter les merveilleux « Estivants » de Gorki. 

Il avait aussi du flair et le sens de l’amitié, ensemble. Il lança le merveilleux Yves Hunstadt, accueillit l’élégant Jean-Claude Berutti . Et l’hyper lettré Jean-Marie Villégier dont « les 3 Corneille » (« Le menteur », « Sophonisbe » et « l’Illusion comique ») firent le tour de France et ont lancé et Alfredo Canavate et…Anne Clair.

Et puis un spectacle invité par Philippe m’a marqué : un splendide « Roméo et Juliette » par la Royal Shakespeare Company dont le Romeo était noir, à la fin du XXè siècle. Chez les Britanniques, ça allait de soi depuis longtemps Chez nous seul Armel Roussel osait, à l’époque une Ophélie noire dans un « Hamlet version athée ».

Alors bonne route Philippe, l’écorché, sur les hauteurs d’Elseneur où t’accueilleront les fantômes de tes ancêtres. 

Christian Jade, Crédit photo:  Capture Facebook du Théâtre National Wallonie-Bruxelles 

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