Découverte 1 : Des « Idiots » russes percutants. Eclairage, sur le poutino-néo-soviétisme.
Outre les célébrités (Py, Lupa, Ostermeier, Badiou) Avignon c’est aussi un petit palais de découvertes. Trois à retenir en cinq jours, deux IN, un Russe, un Estonien. Et un OFF, un Coréen. Point commun : la jeunesse et la qualité des acteurs. Place d’abord à la …Place Rouge.
« Les idiots » (d’après Lars von Trier) de Kirill Serebrennikov. Un groupe de faux « idiots « , marginaux, scannent le poutinisme.
On se souvient du film de Lars von Trier Les Idiots (1998: un autre…siècle) où une mini-secte d’allumés provoquaient le bourgeois conformiste…danois en cherchant en eux « ‘l’idiot intérieur », la vérité de l’instinct. Danger, donc. Même dans nos sociétés démocratiques « éclairées »-surtout avant 2001- le film avait fait scandale à cause d’une scène de sexe hard et fut interdit aux moins de 16 ans ! Tout ça pour rappeler que le régime Poutine, visé ici, n’est pas le seul Etat réactionnaire au monde avec une opinion publique frileuse. Mais le système policier russe est une menace directe pour le spectacle surtout depuis l’invasion de la Crimée et l’occupation partielle de l’Ukraine. Kirill Serebrennikov, cinéaste et metteur en scène de théâtre directeur du Gogol Center de Moscou a vu les subsides de l’Etat fondre. Il a confié au reporter des Inrocks qu’une campagne de presse l’accusait de « détruire l’identité russe » (tiens ici en France on parle aussi beaucoup d’… »identité »!) et que ses spectateurs…n’osaient plus rire des clins d’œil à l’actualité. Au beau pays de France et de l’anti-mariage pour tous, je ne serais pas surpris de voir dans le public une désapprobation poutino-archéo-catho.
Mais parlons esthétique. En 1995 von Trier créait avec Vinterberg sa fameuse théorie Dogma 95, édictant des règles relativement strictes pour bannir les effets spéciaux et privilégier la prise directe « ici et maintenant ».Appliquant ces règles au théâtre, Serebrennikov arrive à épurer la narration, « construite » sous nos yeux par des acteurs/performeurs d’une vitalité étonnante, transformant à vue un décor jouant sur 4 dimensions avec une constante, une prison déplaçable face à un tribunal omniprésent. Les anecdotes de « provocation » (une » vieille » dame aide un faux handicapé à faire l’amour, des couples homosexuels se forment brièvement) viennent souvent de l’expérience des acteurs : un groupe qui se veut libéré des règles face à une société hyper-conformiste. Et néanmoins ces jeunes Russes « décadents » ne caricaturent pas « méchamment » les Russes archaïques, croyants ou soviétiques, qu’ils mettent en scène. On vit là l’éternelle opposition entre les Russes tentés par l’Occident et la vieille réaction nationaliste. La qualité des acteurs, le dynamisme de la mise en scène font de ces « Idiots » russes une jolie fresque humoristique et quasi « sociologique » dans un langage contemporain d’une réalité vécue. Seul bémol : l’arrivée au final de vrais trisomiques dansant sur nle Lac des cygnes. Petite prise d’otage ? On nous force la main pour applaudir? Nobody is perfect.
Les idiots » (d’après Lars von Trier) de Kirill Serebrennikov jusqu’au 11juillet.
Christian Jade (RTBF.be)
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