La connerie et la paranoïa, deux folies théâtrales argentines, drôles, hors normes.
Au théâtre, les Argentins, depuis Copi, sont fous, fous, fous, Dieu merci ! Spregelburd, Rafaël, acteur, écrivain, metteur en scène argentin suit cette tradition, avec un degré de plus dans la sophistication. Deux de ses pièces, mises en scène par le Franco-Argentin Di Fonzo Bo (La Paranoia) et le collectif bruxellois Transquinquennal font l’événement à Bruxelles et Liège.
Critique:****
«La Estupidez» ou «connerie» c’est, au départ, «l’avarice», un des sept péchés capitaux classiques, peints par notre fou de Jérôme Bosch (visible au Prado).Mais Rafael Spregelburd,Argentin inclassable, ivre à la fois de langage, de science et de fiction a traduit les dits «péchés» en folies de notre temps et consacré sept pièces sur ces thèmes :le dégoût, l’extravagance, la boulimie, la modestie, l’entêtement, l’ignorance, la paranoïa et cette «connerie» où Transquinquennal a trouvé son pied. «On se sent à la fois con et stupide –explique le collectif bruxellois – d’essayer de résumer la pièce : serait-ce l’histoire de deux policiers de la route qui vivent une grande histoire d’amour au hasard de motels (de Las Vegas) ? Ou alors celle de deux vendeurs de tableaux de prix qui n’ont jamais existé mais qui existent quand même, tout en disparaissant ? Ou alors celle d’un chercheur en physique qui a trouvé la solution de l’équation post-quantique du monde mais qui n’arrive pas à trouver celle de sa relation à son fils ? Ou celle d’un groupe d’amis qui ne confondent plus hasard et probabilité au casino ? Ou celle de deux ouvreuses de cinéma qui cherchent désespérément l’âme sœur au hasard de rencontres aussi épisodiques qu’un mauvais soap ?». Ces questions synthétisent les cinq fils rouges narratifs, dispersés dans le temps, qui vont et viennent comme la marée montante et descendante, s’entremêlent, se plient et se déplient, freinent et accélèrent, magistralement «portés» par cinq acteurs d’une présence intense. La performance est d’autant plus prodigieuse que chaque comédien affronte différents niveaux de langue et une profusion de formes narratives contradictoires, de la banalité grotesque du quotidien à l’intrigue policière, en passant par le vaudeville et le soap opéra et …des discussions mathématiques et philosophiques. Le premier miracle est que les acteurs ne sortent pas broyés de ces 3H 30 de spectacle sans entracte et qu’à de rares exceptions près, lors de la première, le public n’ait pas décroché de ce marathon aux histoires volontairement brouillées. Le second miracle c’est qu’on a l’impression d’avoir assisté à une «aventure» théâtrale non seulement physique mais esthétique de très haut niveau, avec un bonheur d’écoute renouvelé.
Résumons : c’est long, embrouillé, baroque, multiforme, on ne comprend pas tout dans l’instant, et pourtant la synthèse est un vrai bonheur.
Tentative d’explication : ces histoires multiples tournent autour d’un thème simple-le fric et ses « conneries»- et reposent sur des codes narratifs simples, qui permettent de ne pas être largué (comique de situation, vaudeville, roman policier, téléroman, road movie, fait divers). Chaque spectateur peut donc vivre chaque instant au degré qu’il veut ou peut se permettre: un récit et sa parodie, un monde immonde dominé par l’argent et une philosophie de l’absurde, qui l’explique en douce, sourire aux lèvres.
Ensuite l’homogénéité des cinq acteurs et leur pouvoir d’invention individuelle et collective leur permettent de développer deux registres opposés, une virtuosité assumée et une nonchalance feinte qui éliminent tout pathos.Cinq acteurs soudés et bien accordés et deux chefs d’orchestre au sommet de leur art, Pierre Sartenaer, qui assume tous les rôles de «dominateur» et Mélanie Zucconi dont l’inventivité comique donne à la pièce ses respirations et son rythme.
Ajoutez une scénographie sur deux plans, simple et efficace de Marie Szersnovicz et des costumes-de la même, qui sont un des moteurs comiques du récit. Enfin, en coulisses, le travail dramaturgique de Stéphane Olivier.
Surtout, à la source de cette réussite, la «folie» tonique d’un auteur argentin surdoué, Rafael Spregelburd qui, avec les ruses d’un bon fabriquant d’histoires dingues, parvient à élever le débat sur notre société, son moteur économique loufoque et notre destin dérisoire.
La Estupidez de Rafaël Spregelburd, m.e.s de Tranquinquennal.
Au Théâtre Les Tanneurs, jusqu’au 21 avril Info www.lestanneurs.be
Au Théâtre de la Place, à Liège, du 24 au 28 avril. www.theatredelaplace.be
NB L’auteur, Rafael Spregelburd, sera présent au Théâtre les Tanneurs le samedi 21 avril à 16 h, pour une discussion avec le public, avec J.M. Wynants comme modérateur.
Christian Jade (RTBF.be)
La Paranoïa
– © rtbf
Critique:****
«La Estupidez» ou «connerie» c’est, au départ, «l’avarice», un des sept péchés capitaux classiques, peints par notre fou de Jérôme Bosch (visible au Prado).Mais Rafael Spregelburd,Argentin inclassable, ivre à la fois de langage, de science et de fiction a traduit les dits «péchés» en folies de notre temps et consacré sept pièces sur ces thèmes :le dégoût, l’extravagance, la boulimie, la modestie, l’entêtement, l’ignorance, la paranoïa et cette «connerie» où Transquinquennal a trouvé son pied. «On se sent à la fois con et stupide –explique le collectif bruxellois – d’essayer de résumer la pièce : serait-ce l’histoire de deux policiers de la route qui vivent une grande histoire d’amour au hasard de motels (de Las Vegas) ? Ou alors celle de deux vendeurs de tableaux de prix qui n’ont jamais existé mais qui existent quand même, tout en disparaissant ? Ou alors celle d’un chercheur en physique qui a trouvé la solution de l’équation post-quantique du monde mais qui n’arrive pas à trouver celle de sa relation à son fils ? Ou celle d’un groupe d’amis qui ne confondent plus hasard et probabilité au casino ? Ou celle de deux ouvreuses de cinéma qui cherchent désespérément l’âme sœur au hasard de rencontres aussi épisodiques qu’un mauvais soap ?». Ces questions synthétisent les cinq fils rouges narratifs, dispersés dans le temps, qui vont et viennent comme la marée montante et descendante, s’entremêlent, se plient et se déplient, freinent et accélèrent, magistralement «portés» par cinq acteurs d’une présence intense. La performance est d’autant plus prodigieuse que chaque comédien affronte différents niveaux de langue et une profusion de formes narratives contradictoires, de la banalité grotesque du quotidien à l’intrigue policière, en passant par le vaudeville et le soap opéra et …des discussions mathématiques et philosophiques. Le premier miracle est que les acteurs ne sortent pas broyés de ces 3H 30 de spectacle sans entracte et qu’à de rares exceptions près, lors de la première, le public n’ait pas décroché de ce marathon aux histoires volontairement brouillées. Le second miracle c’est qu’on a l’impression d’avoir assisté à une «aventure» théâtrale non seulement physique mais esthétique de très haut niveau, avec un bonheur d’écoute renouvelé.
Résumons : c’est long, embrouillé, baroque, multiforme, on ne comprend pas tout dans l’instant, et pourtant la synthèse est un vrai bonheur.
Tentative d’explication : ces histoires multiples tournent autour d’un thème simple-le fric et ses « conneries»- et reposent sur des codes narratifs simples, qui permettent de ne pas être largué (comique de situation, vaudeville, roman policier, téléroman, road movie, fait divers). Chaque spectateur peut donc vivre chaque instant au degré qu’il veut ou peut se permettre: un récit et sa parodie, un monde immonde dominé par l’argent et une philosophie de l’absurde, qui l’explique en douce, sourire aux lèvres.
Ensuite l’homogénéité des cinq acteurs et leur pouvoir d’invention individuelle et collective leur permettent de développer deux registres opposés, une virtuosité assumée et une nonchalance feinte qui éliminent tout pathos.Cinq acteurs soudés et bien accordés et deux chefs d’orchestre au sommet de leur art, Pierre Sartenaer, qui assume tous les rôles de «dominateur» et Mélanie Zucconi dont l’inventivité comique donne à la pièce ses respirations et son rythme.
Ajoutez une scénographie sur deux plans, simple et efficace de Marie Szersnovicz et des costumes-de la même, qui sont un des moteurs comiques du récit. Enfin, en coulisses, le travail dramaturgique de Stéphane Olivier.
Surtout, à la source de cette réussite, la «folie» tonique d’un auteur argentin surdoué, Rafael Spregelburd qui, avec les ruses d’un bon fabriquant d’histoires dingues, parvient à élever le débat sur notre société, son moteur économique loufoque et notre destin dérisoire.
La Estupidez de Rafaël Sp
– © rtbf
Au Théâtre de la Place vous pouvez voir encore ce soir, le 20 avril un spectacle importé du Festival d’Avignon, la Paranoia,du même Rafael Springelburd. Le résumé de la pièce tel que dans le dossier de presse du Théâtre de la Place
. » Il nous plonge dans le grand bain de la paranoïa, en 20.000 après J.-C., où plane une menace, lancée par des créatures extraterrestres. Ces Intelligences Supérieures anéantiront notre planète si on ne leur livre pas une fiction télé, dont elles raffolent, pour pimenter leur vie éternelle. Un joyeuse troupe éclectique composée d’un mathématicien, d’un écrivain, d’un astronaute et d’un robot déjanté va se démener pour sauver le monde en vingt-quatre heures chrono. L’histoire extravagante télescope les genres et les esthétiques dans un feu d’artifice théâtral. Entre les telenovelas sudaméricaines, les films de séries B, le polar trash, l’opéra chinois, les coulisses d’un cabaret de travestis et « Star Treck », cette aventure rocambolesque n’a peur de rien et fait feu de tout bois pour nous faire rire de bon cœur. Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier honorent cette histoire futuriste et survitaminée dans une mise en scène à la virtuosité folle. »
Brève critique:****
Ce spectacle est très différent et par son thème et par son esthétique de la mise en scène de la Estupidez. C’est une superproduction à grand spectacle avec des moyens matériels considérables, un plateau tournant, une vidéo sophistiquée, un jeu entre des acteurs présents en arrière-plan et projetés sur un grand écran devant nous. Le thème futuriste, l’interrogation sur la science et ses moyens, le mélange de plusieurs actions, l’humour omniprésent sont des données de base de la « série » sur les 7 péchés capitaux. Le spectacle dure deux heures et quart, ce qui le rend plus digeste. enfin les acteurs, excellents, jouent, à la perfection, dans cette tradition française, irréprochable mais un peu plus rhétorique que le style Tranquinquennal. Pour les passionnés de nouveauté, la comparasison des deux spectacles « vaut la chandelle ». En outre Marcial Di Fonzo Bo , lui-même d’origine argentine, est le traducteur des pièces de Spregelburd en français et une des toutes grandes pointures du théâtre français et comme acteur et comme metteur en scène, avec sa compagnie Les Lucioles, créée en 1998 avec Hélène Vigier. Avant Spregelbrud ils avaient remis à l’honneur un autre Argentin, Copi. Voilà pourquoi je recommande à tous les passionnés de théâtre d’avant-garde la confrontation des deux « ovnis » argentins.
Le Directeur du Théâtre de la Place, Serge Rangoni, a joué un rôle important en faisant découvrir le monde de Spregelburd à Tranquinquennal (qui y a découvert un univers » familier ») et en cofinançant la production., visible à Liège la semaine prochaine.
Christian Jade (RTBF.be)
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