Aix-en-Provence 2018. « Ariane à Naxos » de R. Strauss, plombée par une mise en scène décevante de Katie Mitchell.
« Ariane à Naxos », un des chefs d’œuvres, hyper délicats de Richard Strauss qui joue sur des équilibres fragiles et sur deux tableaux au moins : l’amour est-il une tragédie ou une comédie ? L’une et l’autre, oui, mais dans quel ordre on les joue, et qui décide ? C’est un des sujets.
Dans « Ariane à Naxos », la question est au centre de l’œuvre puisque Strauss et son célèbre librettiste von Hofmannsthal ont eu de la peine à équilibrer l’ensemble au point de rater une première version inspirée du « Bourgeois Gentilhomme » de Molière, jamais reprise. La tragédie, c’est celle d’Ariane abandonnée par Thésée sur une île et qui rumine sa mélancolie en attendant l’arrivée « providentielle » de Bacchus. La comédie : une troupe d’acteurs/trices de style « commedia del arte » payé(e)s par « l’homme le plus riche de Vienne » font irruption dans un bel appartement pour interpréter cette tragédie…Tout en racontant leurs propres histoires de cœur via le personnage délicieux de Zerbinetta, la délurée, légèrement cynique : un rôle en or pour Sabine Devieilhe, soprano colorature. Ajoutez, pour la complexité, et le plaisir, le double amour de Strauss pour Mozart (sensible dans le personnage de Zerbinette, entre autres) et Wagner (en Ariane, l’impressionnante jeune mezzo-soprano norvégienne Lise Davidsen, aux couleurs sombres)
Toutes ces dualités fragiles mais passionnantes laissent surgir un autre problème, celui du pouvoir de l’argent : le mécène, qui commande la pièce, intervient aussi sur son déroulement puisque c’est lui, ou son majordome, qui décide de la mise en scène : d’abord la comédie, puis la tragédie ou les deux ensemble ? Cela fait partie du jeu et ça marche fort bien dans le prologue où le joyeux désordre d’une troupe qui s’installe est traité avec une belle dynamique par Katie Mitchell, remarquable directrice d’acteurs. Mais la tragi-comédie qui suit tourne au contresens et à l’ennui. Le personnage d’Ariane en particulier, attendant l’arrivée providentielle de Bacchus, enceinte jusqu’aux dents, nous offre son accouchement en partage, comme un » copier/coller hors texte « . Le rapport à la parole, à l’action ? A partir de cet instant on décolle de la mise en scène et de ses facéties sur la lumière, techniquement réussies mais qui nous laissent en rade du sens .Le feuilleté initial délicat tourne à la démonstration approximative .On s’accroche à l’Orchestre de Paris et à son chef Marc Albrecht, aux chanteurs et cantatrices, tou(te)s excellents pour résister à la mise en scène. Une déception d’autant plus forte que Katie Mitchell nous avait éblouis ici-même dans deux mises en scène de référence, « Written on the skin » de George Benjamin (2012) et « Pelléas et Mélisande » (2016) avec sa Mélisande « dédoublée », sensuelle, inoubliable.
Ici le charme est presque absent après le Prologue, alors que la virtuosité du groupe d’acteurs est évidente, la scénographie comique et lumineuse habile, et les solistes, du chant ou des instruments excellents. Le sujet a beau être le lieu commun du » couple » Strauss/ von Hofmannsthal, parole contre musique, envahi par le rapport de forces mécène/troupe, la synthèse est absente. La musique et le sens flottent dans l’air de la Cour de l’Archevêché. Des applaudissements polis saluent cette esquisse inaboutie.
« Ariadne auf Naxos » de Richard Strauss, mise en scène de Katie Mitchell.
Aix-en-Provence jusqu’au 16 juillet.
Christian Jade (RTBF.be)
Nb :en direct sur Arte concert le 11 juillet.
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