Angelo Bison dans « Un homme si simple » d’André Baillon. Chronique d’une folie ordinaire. Une performance frémissante ***
Pour le grand public, Angelo Bison, c’est le masque d’un pervers, assassin d’enfants, dans la série « Ennemi public », avec en arrière fond l’affaire Dutroux. Pour le public plus restreint du théâtre, Angelo, dans « L’Avenir dure longtemps », incarnait le philosophe Althusser, assassin de sa femme dans un état de folie qui le renvoie dans un hôpital psychiatrique plutôt qu’aux assisses.
Avec « Un homme si simple », Angelo et son metteur en scène Michel Bernard nous peignent un personnage guetté par une folie « ordinaire », une dépression aggravée, avec des pulsions de mort et de vie qu’on qualifierait de « déviantes ». La folie s’installe en douce et n’aboutira jamais à un meurtre mais quand même à un suicide, suggéré par la dernière scène où Bison s’éloigne en répandant une à une les fleurs d’un bouquet.
Cette nouvelle performance est basée sur un texte autobiographique de l’écrivain anversois André Baillon, « Un homme si simple », basé sur cinq confessions à un psychiatre, ici adressées au public. Mais qu’avons-nous à juger ? Pas des faits graves mais des situations marginales et l’angoisse de culpabilité qui les accompagne. Au début du XXe siècle, cet homme élevé par les Jésuites vivait dans le « péché mortel » en habitant, dans la même maison, avec sa femme, Claire et sa « concubine » Jeanne. Une situation pas banale traitée par l’humour.
Voilà donc un homme pris au piège de ses contradictions mais aussi de pulsions plus graves, l’attirance pour la fille de Claire, une adolescente de 16 ans qu’il a éduquée en beau-père bienveillant. Je n’ai pu m’empêcher de songer au couple formé par Woody Allen et Mia Farrow. Allen séduisant puis épousant une fille adoptive de Mia-Soon-Yi Prévin et accusé aussi d’avoir séduit sa propre fille adoptive Dylan Farrow. Il a gagné le procès intenté par sa femme mais le sujet a refait surface à l’occasion de l’affaire Weinstein. Et l’affaire Dutroux a révélé que la majorité des pédophiles se trouvent à l’intérieur même des familles.
Une mise en scène minimaliste pour une folie naissante.
Angelo Bison dans – © Alice Piemme
Dans « Un homme si simple », les angoisses croissantes du père adoptif vis-à-vis de ses pulsions pédophiles intra-familiales envahissent progressivement ses confessions menant au « couvent-refuge », l’asile psychiatrique de la Salpêtrière à Paris. La mise en scène minimaliste de Michel Bernard va à l’essentiel : tout est dit par deux faisceaux de lumière. Bison évolue d’abord dans un faisceau vertical qui rejoint le mur noir du « couvent ». Et quand, rongé d’angoisse, son surmoi religieux refait surface le croisement de deux faisceaux dessine au sol une croix symbolique. La simplicité du décor épouse la simplicité du langage, en petites touches claires, précises qui dessinent un tableau pointilliste où le spectateur avec le recul aperçoit l’ensemble du paysage mental. Aucun phrasé emphatique, on n’est pas dans le drame mais la lutte pour y échapper. Sur scène un écrivain « coupé en deux » décrit avec simplicité le nœud complexe de ses névroses.
Angelo Bison, une fois de plus, nous donne à voir ces passages entre le normal et l’anormal et la lutte pour échapper à une folie douce. L’expressivité de son visage, de ses mains, son occupation sensible de l’espace nous rappellent qu’avec son complice Michel Bernard, il sait exprimer intensément des états limites où la mélancolie profonde rode et la démence guette. Dutroux a tué des enfants, Althusser a tué sa femme, Baillon s’est suicidé. Dans « l’Avenir dure longtemps », un philosophe tente de racheter sa faute avec les prestiges du grand style et de la psychanalyse. Dans « Un homme si simple », un modeste écrivain peint à petites touches ses pulsions suicidaires. Le passeur de ces deux destins est Angelo Bison, qui aime fréquenter ces petits et grands gouffres avec son talent d’acteur inspiré.
« Un homme si simple » (André Baillon), mise en scène de Michel Bernard
Au Théâtre Poème jusqu’au 3 mars du jeudi au dimanche.
La série « Ennemi Public » reprend sur La Deux, tous les mardis à partir du 19 février. Et la série 2 est annoncée, dans la foulée, en mars sur La Une, le dimanche.
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