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« Architecture » de Pascal Rambert à Avignon : Words, words, words… Alas!

Pascal Rambert est un immense écrivain de théâtre, omniprésent en France et dans le monde (surtout en Asie et dans les Balkans) et étrangement peu joué en Belgique. Sauf ce duo intense sur les déchirures amoureuses, « Clôture de l’amour », qu’on a pu voir dans la version originale à Bozar avec deux de ses vedettes favorites, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey. Et, en beaucoup plus sensible, dans une version « belge » avec Pietro Pizzuti et Sandrine Laroche.

En Cour d’Honneur à Avignon, à la première d’ »Architecture », son écriture prend l’eau, noyée dans une mise en scène molle (de lui-même) et une injonction de hurler le texte malgré une sonorisation forte. J’avais l’impression d’être revenu au XXè siècle, un soir de mistral où chaque acteur.trice devait hurler, vent debout, contre le vent mauvais. Encore heureux que cette « bande à Rambeau » est faite des plus grands acteurs du théâtre français : Jacques Weber, Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Arthur Nauzichiel, Stanislas Nordey, Denis Podalydes, Laurent Poitrenaux. Et, pour moi, une révélation, Marie-Sophie Ferdane, dans le rôle de la nouvelle (jeune) épouse du patriarche, éblouissante d’intelligence et de sensualité.

Qui dit mieux ? Impossible. Il a les meilleurs, les plus connus, les plus brillants et comme il a fait la pièce pour eux, ce qui n’est pas une faute, ils ont fatalement chacun leur moment de grâce face au public. De grâce ? Non, d’éloquence à la française, avec ce panache à l’ancienne qui en met plein la vue mais sonne (souvent) un peu creux.

Et le(s) sujet(s) ? C’est l’histoire d’une famille écrasée par un patriarche omnipotent (Jacques Weber, présence impressionnante malgré un texte moyen) dans la Vienne d’avant la première guerre mondiale, où couvent les germes de ce qui deviendra le fascisme. Ce sont tous des intellectuel(le)s brillant(e)s (artiste, philosophe, psychiatre, éthologue, poétesse), l’intelligentsia d’une époque et d’une ville qui font vachement plus penser au Paris actuel qu’à la Vienne ancienne. Brillants mais impuissants, face à ce qu’on appelle la « montée des périls », qui devient « actuelle » au deuxième acte (après trois heures lentes, dispersées, plombantes). Les protagonistes quittent le chic viennois pour le quotidien banal des ordinateurs de bureau contemporain. Et meurent un à un, dans des poses sophistiquées, artificielles. Il paraît que c’est une version du « théâtre dans le théâtre ».

Le sujet  » intrafamilial  » fait parfois des étincelles comme l’opposition intense père-fils : Stanislas Nordey incarnant le philosophe Wittgentstein tient tête avec panache à Weber le patriarche. Ce sont de grands moments. Les agressivités nées de rapports amoureux et sexuels toujours ambigus, c’est ce que Rambert illustre avec le plus de talent. (cf « Clôture de l’amour ») . Il y a là quelques répliques étincelantes.

Par contre, le sujet « politique » est fait de lieux communs et de morceaux d’éloquence tribunitienne qui ralentissent la non-intrigue et allongent inutilement la sauce (4 heures sans surprises, sans rythme, sans intensivité autre que sporadique). Pour la même époque (les prémices du fascisme), on est à mille lieues d’Ivo Van Hove et de ses « Damnés » ici aussi en Cour d’Honneur … avec la Comédie française !

À la limite, au théâtre, le « sujet » importe peu si le théâtre brûle de l’intérieur par les mots, l’intensité des interprètes, les images ou la vidéo, ensemble ou séparément. Tous les moyens sont utiles s’ils convergent vers ce bonheur théâtral impossible à définir, heureusement, pas de « recette » possible. Ici, on assiste à un scénario mal ficelé, des rapports entre personnages flous et une invasion de solos face au public : comme autant de ténors, basses, sopranos ou mezzos qui joueraient des arias parfois bonnes, parfois redondantes, mais souvent sans rapport avec une décousue.

La Cour d’Honneur est souvent le tombeau des bonnes intentions et des bons castings.

Dommage.

« Architecture », texte, mise en scène et installation de Pascal Rambert.

En Cour d’Honneur jusqu’au 13 juillet.

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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