Avignon 2016.Un théâtre politique de qualité : promesse tenue.
Le Directeur du Festival d’Avignon Olivier Py nous avait promis un festival interrogeant notre époque politique trouble. Les Damnés de Visconti, mis en scène par Ivo Van Hove ont ouvert le bal en Cour d’Honneur. Mais les bonnes surprises continuent.
» Place des Héros » deThomas Bernhard. Magistrale leçon de » théâtre d’art « de Krystian Lupa.
L’an dernier à Avignon Kristian Lupa nous avait éblouis par une adaptation du roman de Thomas Bernhard » Des arbres à abattre « . Cette année il remet ça avec un des chefs d’œuvre théâtraux du maître viennois au pessimisme prophétique .Place des Héros « c’est l’endroit de Vienne où Hitler défila en 1938 pour célébrer le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne. En 1988, date de la création de la pièce on est en pleine affaire Waldheim, ancien Secrétaire général des Nations Unies. Devenu Président de la République autrichienne il est alors accusé de passivité dans des massacres de résistants juifs commis par des SS en Grèce. Curieuse coïncidence en 2016: les élections présidentielles autrichiennes ont montré le candidat d’extrême droite faisant 50% des voix face à un candidat écologiste. Un vote tellement serré que l’élection, annulée par la Cour suprêmesera » rejouée » le 2 octobre ! Une anecdote ou un symptôme ? Pour Thomas Bernhard, Vienne n’a jamais été dénazifiée. Dans » Heldenplatz « , Place des Héros, un juif âgé, prof d’Université, Josef Schuster se suicide, en 1988 alors qu’il s’apprête à retourner en Angleterre, à Oxford, où il a passé la guerre. Tout suicide est un mystère et celui-ci est épais. C’est l’occasion d’un portrait de famille incroyablement fouillé, pas du tout manichéen puisque de la gouvernante au frère en passant par les filles et la femme, on fouille dans les méandres d’un personnage complexe. Le suicidé, cultivé mais tyrannique, manipulateur et injuste hante la pièce de bout en bout de son ombre géante. Le frère survivant fait le procès de l’Autriche fascisante mais il est désabusé et passif. C’est tout l’art de Krystian Lupa de nuancer le discours, d’en faire une symphonie complexe aux personnages fascinants, parfois drôles. Sa direction d’acteurs est d’une incroyable précision et sa création d’espaces en clair-obscur, accompagné d’une vidéo discrète, digne d’un grand peintre. La rencontre d’un grand texte et d’un metteur en scène maîtrisant tous les codes de la représentation est un énorme bonheur.Incomparable..
» Place des Héros » deThomas Bernhard, m.e.s de Krystian Lupa.
A Avignon jusqu’au 24 juillet.
A Paris (Théâtre de la Colline) du 9 au 15 décembre
» Le Radeau de la Méduse » de Georg Kaiser, m.e.s Thomas Jolly: le virus de la haine dès l’enfance.
– © Christophe Raynaud de Lage
Il faut comparer le comparable : ce travail de fin d’études d’étudiants de Thomas Jolly, au TNS de Strasbourg doit être vu comme une entrée dans la vie théâtrale. Des jeunes de 20/22 ans jouent des gosses de 10-12 ans perdus en mer en 1942 sur un canot de sauvetage après que des Allemands aient coulé un navire qui les menait loin de la guerre. Mais ce thème politique initial s’estompe très vite au profit d’un portrait de groupe avec sa dynamique un peu effrayante. Un peu comme dans » Sa Majesté des Mouches » de William Golding, le groupe d’abord regroupés vers le bien comme de bons petits scouts, commencent à se diviser quand apparaît la notion de chef de troupe. Intéressant aussi que les 2 meneurs soient un garçon et une fille et pas deux gamins. Et actuel le fait que c’est pour des raisons religieuses que le drame va se produire. Le fait qu’ils soient non pas 12 comme les disciples du Christ mais 13 va amener la notion de bouc émissaire où l’ombre de Judas va porter malheur à l’un d’eux. Tuer au nom de la religion n’est pas le propre de l’Islam, dans de jeunes têtes livrées à de vieux messages bibliques interprétés » littéralement « . L’intérêt est aussi dans l’interprétation chorale de ce groupe qui chante aussi fort bien. La scéno de la barque tournant dans le brouillard est remarquablement éclairée. Acteurs et techniciens ont bien sûr bénéficié des conseils de leur maître, Thomas Jolly mais, nous dit-il a seulement joué comme responsable de la cohérence d’ensemble. Mission accomplie
Le Radeau de la Méduse de G.Kaiser mes de Thomas Jolly.
A Avignon jusqu’au 20 juillet puis à Paris (Odéon) du 15 au 30 juin 2017.
» La Dictadura de lo cool « . Parodie anti-bobo déjantée, à la sud-américaine.
– © Christophe Raynaud de Lage
Enfin dans un genre difficile, la parodie, le Chilien Marco Layera nous jette à la figure un spectacle hilarant grinçant sur les bourgeois bohèmes que nous sommes tous plus ou moins. A part qu’ici cela se passe à un très haut niveau de fric où les bons sentiments humanitaires et la mode bio cachent un arrivisme féroce et des dépressions grandioses. Layera affirme partir du de Misanthrope Molière appliquée à notre société de consommation actuelle. Le prétexte initial : un de ces bobos devient ministre de la Culture et la petite bande se précipité à ,la course aux bons postes.Mais le Ministre décide d’être conforme à la morale sociale et de confier les postes culturels à des gens issus des milieux défavorisés. Crise de nerfs générale, énorme parodie où une caméra » jazzy » poursuit les joyeux jouisseurs dépités dans leur intimité. C’est féroce et baroque comme jadis l’Argentin Copi ou une sorte de Charli Hebdo sud-américain. J’avoue avoir beaucoup ri, sans façon, comme à un divertissement drôlement bien » enlevé « . Quelques bons amis se sont senti mal à l’aise. Ce côté » miroir, mon beau miroir « , jusqu’où suis-je moi aussi un bobo devrait mettre les plus lucides de bien belle humeur.
NB : le Chilien Layera est soutenu par le très sérieux HAU, Hebbel am Ufer, Berlin
. » La Dictadura de lo cool « . de Marco Layera
Avignon, jusqu’au 24 juillet.
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