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Avignon 2017 : Les Doms, espace belge francophone. Emotion, radicalité, technologie les clefs d’une programmation.

Alain Cofino Gomez, qui dirige depuis 2016  ‘Les Doms’ l’espace officiel de la FWB en Avignon propose une programmation qui mêle théâtre, danse, cirque et jazz (ici Greg Houben). Avec un œil plus ‘radical’ que ses prédécesseurs et une programmation plus subjective, mêlant, comme il nous l’explique ci-dessous le ludique et le philosophique, la technologie et l’émotion.

Par un pur hasard les spectacles de sa sélection que j’ai vus (donc pas tous) m’ont ému ou fasciné (avec 3 ou 4 étoiles pour les gens pressés) : ‘L’Avenir dure longtemps’, un solo d’Angelo Bison sur la folie meurtrière d’un philosophe, Louis Althusser. ‘Is there a life on mars’ d’Héloïse Meire, une délicate intrusion dans le monde des autistes. ‘La vedette de quartier « , ou l’exploration cocasse de ses ambitions adolescentes par Riton Liebman. ‘Tabula rasa’ un premier spectacle réussi de Violetta Pallaro sur la famille en miettes. ‘Daisy Tambour’ de Tomassenko, musique, théâtre et poésie dans un shaker aux goûts épicés, un bain d’humour. Et en cirque, ‘Pesadilla’, un solo drôlement cauchemardesque de Piergiorgio Milano, rêveur éveillé au corps totalement inventif. 6 spectacles sur 10 plus qu’intéressants (NB : je ne suis pas programmateur associé !!). De ces spectacles (et de quelques autres) Alain Cofino Gomez (ACG)  nous livre quelques clefs de sa programmation.

Interview Alain Cofino Gomez.

Alain Cofino Gpomez vu par Alice Piemme

Alain Cofino Gpomez vu par Alice Piemme – © Alice Piemme

 CJ : Vous sélectionnez au feeling ou vous avez un thème de programmation dans lequel les spectacles doivent entrer ?

ACG : Au départ, c’est une sélection dans un panier de candidatures, donc l’idée d’arriver avec un thème, ce serait un peu se casser la figure, je pense. Mais parfois  des thèmes se dégagent et des choses se répondent. Ici par exemple, la question du casque audio, très étrangement, est apparue sur la scène. Au moins trois spectacles font appel à cet  ‘outil’. Parfois c’est le spectateur qui doit mettre à ses oreilles un casque pour comprendre ce qui se passe sur scène, c’est une espèce de ‘dramatique radio’ en live dans  ‘Piletta Remix’, un spectacle pour enfants. Et si on ne met pas le casque, on voit peu de choses finalement. Donc c’est l’univers mental de la radio qui est convoqué. Dans  » Is there a life on Mars ? «  d’Héloïse Meire, ce sont les acteurs qui chaussent le casque, qui reçoivent des interviews de familles d’autistes ou d’autistes eux-mêmes qui renvoient cette parole sur la scène.

CJ : Donc là le thème est plus grave.

ACG : Grave, je ne sais pas. C’est plutôt une tentative sympathique et joyeuse d’entrer dans un monde et dans un vocabulaire que nous ne connaissons pas. On nous fait sentir et vivre ce que peut être le monde des autistes et on entend leur parole, la complexité de leurs rapports avec nous. Et on comprend notre propre complexité à rentrer en contact avec eux. Il n’y a pas de jugement, il n’y a pas de morale, simplement on nous ouvre une porte et grâce au système audio,  ça fonctionne cette porte ouverte.

Quant au 3è, ‘Thinker’s corner de Dominique Roodthooft, c’est une référence aux ‘corners’ des prises de parole Angleterre, comme à Hyde Park. Il aura lieu  dans la rue à Villeneuve-lès-Avignon. Les acteurs chaussent un casque et  le public peut passer et faire tourner une roulette à thèmes. On tombe par exemple sur ‘Amour’, et le comédien chausse le casque et transmet au public l’interview d’un penseur, d’un philosophe, d’un sociologue et pendant 2min il retransmet cette parole avec l’accent, avec les poses, et on a la philosophie qui arrive dans les marchés, dans la rue..Moi, je suis resté une heure à les écouter mais  on peut partir, hein ! …C’est très libre.

CJ : Au fond, c’est la technologie au service de spectacles ludiques, mais pas creux.

ACG : Je reste quelqu’un de sensible au sens, à la pensée, et aussi aux gens qui inventent. Parfois, ça peut être  la question esthétique, parfois, j’aime la radicalité mais dans la bonne humeur, dans la joie, j’aime l’humour mais radical. Mais pas que l’humour. J’aime par exemple la radicalité de  » L’avenir dure longtemps « . Alors là vous voyez, on va me dire  » il n’y a pas d’invention « , ben non, il n’y en a pas. C’est un texte d’Althusser, un penseur d’extrême-gauche, un philosophe, qui un jour a tué sa femme. Il l’a étranglée dans une crise de démence. Et donc il a été arrêté, interné, puis quelques années plus tard il a écrit un texte où il essaye d’expliquer non pas son geste mais l’incompréhensible, qu’il ne comprend pas lui-même puisqu’au moment où il étrangle sa femme, il est hors de lui-même. Et donc voilà, on a un acteur, Angelo Bison, on a un texte, Althusser, on a une mise en scène de Michel Bernard d’une sobriété incroyable, et c’est juste un texte, un regard, et ça parvient très fort. Et là aussi, je trouve qu’il y a de l’invention, malgré le fait que ce soit d’une grande simplicité.
CJ : Et puis il y a une interrogation qui nous concerne tous : ça met une inquiétude sur nos limites, entre folie et raison, non ?

ACG : Oui, ça nous est renvoyé. Comme pour  » Is there life on Mars ? « , sur la question de l’autisme, c’est quelque chose qui vient nous chercher, pas avec violence, mais à l’intérieur de nous. Ça ouvre non seulement une porte sur un univers qu’on ne connaît pas mais ça nous permet d’entrer en empathie et en dialogue avec un univers qui nous échappe complètement.

CJ : J’ai l’impression que vous êtes à la recherche d’univers particuliers, originaux, spéciaux, au point de nous échapper, dans lesquels on a envie d’entrer tellement ils sont différents.

ACG : La clé de mon regard sur cette sélection c’est l’émotion. Alors, ça peut être une émotion intellectuelle, esthétique, mais ne jamais s’écarter de l’émotion. Tous les spectacles qui sont là, je les ai vus, ils m’ont ému. Sinon je ne pourrais pas les amener à Avignon, je ne pourrais pas les défendre. Si il y a un lien entre tous les spectacles, c’est ça, alors c’est très subjectif mais en même temps j’aime le travail exigent, le travail d’invention,  mais toujours en lien avec ce qui fait qu’on est humains, qu’on va au théâtre,  ce lien d’émotion.

CJ : ‘Daisy Tambour’ de Tomassenko par exemple, c’est déjanté, ça a l’air plus léger, est-ce que ça l’est tellement ?

ACG : Alors c’est un autre niveau, le macrocosme, le microcosme est dans notre vie, tout est important. Votre mari, votre femme vous quitte, la philosophie n’est pas d’une grande aide. Et là il y a la poésie. Comment, avec quelques mots, on touche à une vérité qui nous est propre, intime, et finalement avec la poésie qui devient universelle, et la musique, évidemment. Mais c’est un spectacle musical, mais c’est un spectacle théâtral, aussi. C’est très joué.

CJ : Et la danse?

ACG : ‘Nativos’, d’Ayelen Parolin c’est un travail exceptionnel. Sur scène, quatre hommes qui viennent de Corée, et qui confrontent l’ancestral et l’hyper-modernité, avec des choses belles dans l’un et l’autre monde, avec le chamanisme mais aussi la place de l’humain dans l’hyper-compétitivité. Ça fait un choc, un choc physique, dansé, parlé –en coréen, mais ce sera traduit en partie. C’est étrange, et c’est très ‘belge francophone’, j’ai envie de dire : on a sur la scène une Argentine, qui a été en Corée, et la pianiste Lea Petra est belge, et il y a cette mixité, ce mélange des cultures qui en fait un choc intéressant.

Renseignements  complémentaires : http://www.lesdoms.be/

Christian Jade.RTBF.be

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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