Avignon 2017.Une Antigone nippone, ritualisée, apaisée par Bouddha. Triomphe en Cour d’Honneur.
Le mythe des Atrides n’est pas naturellement la tasse de thé des Japonais. Satoshi Miyagi a donc décidé d’un prologue où il résume en 10mn pour ses compatriotes le conflit entre Antigone et l’usurpateur Créon, qui refuse d’enterrer un de ses deux frères accusé d’anarchie. Dans Sophocle le politique s’oppose aux lois divines. Dans la version ‘bouddhique’ de Miyagi l’important est de ne pas distinguer après la mort les bons des mauvais mais de laisser à chaque âme le loisir d’errer en paix. Dans la présentation des principaux personnages au public on voit défiler, outre Antigone et Créon, Etéocle et Polynice, les frères ennemis qui s’entretuent devant nous , Ismène la sœur d’Antigone, Hémon, son fiancé, qui finira suicidé et le devin Tirésias .Mais ce prologue , joué en un français ‘scandé’ à la japonaise avec un surjeu caricatural cette parodie du Japon par un Japonais met le public dans sa poche. L’orchestre y va aussi de son clin d’œil souriant en insinuant le tube emblématique Psyché Rock de Pierre Henry (qui vient de mourir) et qui illustrait la Messe pour le Temps présent de Béjart, triomphant dans ce même lieu en …1967. Bienvenue donc au royaume des morts…par l’humour aussi.
La Cour d’Honneur fait trempette dans une immense étendue d’eau où les protagonistes, le Chœur et l’orchestre revêtus de toges blanches immaculées, se meuvent lentement, comme absents : des fantômes flottants bientôt rejoints par la barque de Caron, le ‘passeur ‘de la mythologie grecque qui fait franchir le fleuve Achéron par les morts en errance. La lenteur fait partie du jeu mais la musique percussive soutient ce dialogue des morts qui se souviennent des étapes majeures du jeu de massacre familial. Le texte de Sophocle défile sous nos yeux mais chaque personnage est dédoublé en une voix et un corps revêtu d’une toge qui esquisse des gestes projetés comme des ombres sur l’immense étendue du mur du Palais des Papes. Comme si ces morts avaient une triple projection visuelle sans l’ombre d’un réalisme du ‘visage’. Tout est laissé à notre imaginaire comme si le public dialoguait en direct avec ces morts fantomatiques alors qu’aucun des « fantômes » ne se parle. Au centre, Antigone immobile sur son rocher alors que Créon et son fils sont à chaque extrémité de la Cour agités de colères et de reproches. Le chœur commente et Tirésias porte l’estocade finale alors que la barque de Caron vient apaiser tous les conflits.
La morale finale est bouddhique : Satoshi Miyagi voit poindre dans notre monde des conflits féroces, aiguisés par les trois ‘religions du désert’ (judaïsme, christianisme, Islam) qui ‘divisent’ le monde entre Diable et Dieu, bons et mauvais avec un ‘jugement dernier’ pour les catholiques dont Avignon fut un centre. » Le bouddhisme japonais, affirme Miyagi, ne détermine pas que les méchants finiront en Enfer pour souffrir à jamais. Si un être agit mal dans ce monde, il n’est pas exclu qu’il aille au Paradis si sa nature profonde réapparaît juste après sa mort « .Antigone qui veut que ses deux frères soient traités de la même façon et » aime tous les êtres humains sans les diviser » mérite donc d’entrer dans la panthéon bouddhique. Ce dialogue des civilisations qui mêle le sourire et la pensée zen, l’action et la poésie, la musique et la danse, une esthétique orientale pour un mythe grec universel a bouleversé un public fasciné par tant d’élégance. Une réconciliation du théâtre populaire et savant : un spectacle élitaire pour tous. Le fantôme de Vilar flottait sur la Cour.
Antigone de Sophocle, m.e.s par Satoshi Miyagi, jusqu’au 12 juillet.
Christian Jade (RTBF.be)
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