• Théâtre  •  » Don Pasquale  » (Donizetti). Le duo Pelly/Altinoglu rythme le rire amer. Irrésistible ***

 » Don Pasquale  » (Donizetti). Le duo Pelly/Altinoglu rythme le rire amer. Irrésistible ***

Quelle saison ! Le directeur de la Monnaie Peter de Caluwe sait varier les plaisirs et prendre des risques calculés. La preuve cet automne avec la  » Flûte Enchantée  » selon Castellucci tellement plongée dans le monde très particulier de Roméo que quelques mélomanes s’y sont perdus et d’autres, dont je suis, ont adoré. De même  » La Maison des Morts  » de Janacek modernisée par les fantasmes de Warlikowski a fait regretter à certains l’historique version de Patrick Chéreau. Vains regrets. Warlikowski et Castellucci sont des créateurs hors normes, parfois iconoclastes.

Changement de tonalité avec  Laurent Pelly qui nous avait marqué il y a deux ans par une éblouissante satire sociale (le  » Coq d’Or  » de Rimski-Korsakov), et qui remet le couvert avec un Donizetti d’une rare finesse. 

 » Don Pasquale  » le dernier grand  » opera buffa « , a tous les ingrédients du genre. Un vieux célibataire vraiment trop vieux (Don Pasquale) s’acharne à vouloir épouser une jeune (Norina) vraiment trop jeune pour lui. Or Norina est amoureuse d’Ernesto, le neveu de Don Pasquale, un jeune fainéant, qui guette l’héritage. Pour tirer les ficelles de cet imbroglio l’intermédiaire, un  » marieur  » masculin, le Docteur Malatesta, un  » faux ami  » de Don Pasquale arrange deux mariages contradictoires.La fiancée ravissante et angélique, la soi-disant sœur de Malatesta, est en fait la rusée Norina. Avec un contrat de mariage qui lui attribue la moitié de la fortune et tout le pouvoir, elle devient une redoutable mégère, battant et trompant son vieux jusqu’à le dégoûter du mariage ce qui  lui permet d’épouser le neveu, Ernesto. Dans les tragédies italiennes du XIXe siècle, y compris celles de Donizetti, les femmes meurent victimes de leur amour. Dans les comédies, elles prennent leur revanche…mais comme mégères mal apprivoisées…Shakespeare pas mort. Il y a du « Falstaff » de Verdi dans « Don Pasquale » affirme  Laurent Pelly. Pas faux! Source d’inspiration manifeste dans sa mise en scène.

 

La complicité subtile de Laurent Pelly et Alain Altinoglu triomphe .

 Danielle De Niese et Michele Pertusi dans

Danielle De Niese et Michele Pertusi dans – © Baus/La Monnaie

Cette farce du vieux déchu, puni de son désir incongru est souvent jouée en force et sans nuances, le rire pour le rire.  Pourquoi pas puisque le rire est une vengeance et que les calculs de Don Pasquale et  ses pauvres ruses le rendent ridicule, voire odieux. Mais Laurent Pelly parvient à garder toute la saveur de la farce en lui ajoutant une dimension plus subtile, proche de la comédie. Le vieux est grotesque, bien chargé de défauts mais touchant parfois dans son spleen existentiel. Norine est séduisante par le ramage mais brutale et cynique dans son comportement. Le neveu un bon à rien profiteur et  » l’ami  » Malatesta un  » faux-cul  » de première. En somme ils sont tous méchants et /ou grotesques et sympathiques et antipathiques à la fois.

Tout cela est dans le texte et dans la musique qui dynamise  cette succession de coups de théâtre avec une beauté active des rythmes et des airs lyriques d’anthologie pour chaque soliste.  Mais la force de la représentation vient de la complicité du metteur en scène Laurent Pelly, remarquable directeur d’acteurs/chanteurs et du chef d’orchestre Alain Altinoglu qui dirige ce ballet des faux-semblants, sourire aux lèvres, obtenant de son orchestre et des solistes un maximum d’expressivité en dépit de petits problèmes. Ainsi Danielle De Niese souffrait certains soirs d’un refroidissement, annoncé aux spectateurs, qui la gênait dans l’hyper aigu du rôle de Norina. Un bon chef comme Altinoglu sauve la mise en ajustant l’ensemble des musiciens à ce petit drame.  Ce qui permet à la soliste de garder une incroyable assurance de voix et ses capacités d’actrice rouée. Triomphe final assuré pour elle et l’incroyable basse Michele Pertusi, ridicule et grandiose en Don Pasquale et pour le baryton Lionel Lhote, incarnant d’une voix égale, bien timbrée  un cynique manipulateur avec l’onctuosité d’un confesseur mondain ! Et la deuxième distribution avec Anne-Catherine Gillet, est tout aussi prometteuse selon la bouche à oreille.

En somme un spectacle léger et profond, un classique de fin d’année où domine le rire avec un arrière fond de spleen.

 » Don Pasquale  » (Donizetti). Mise en scène de Laurent Pelly.

A la Monnaie jusqu’au 23 décembre.

Christian Jade 5RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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