« Et avec sa queue il frappe! », ou les désarrois de l’élève Gunzig.
Prenez un adolescent fragile et craintif. Trempez-le dans le jus ravigotant de petits dragons asiatiques de série B. Et vous en ferez un homme, blindé…d’humour. Un très grand Alexandre Trocki nous plonge dans l’univers « barbare » et drôle de l’auteur.
Un quatuor de talents
L’ennui (ou le plaisir ?), avec Thomas Gunzig, c’est qu’il nous réveille, 2 à 3 matins/semaine en distillant, radio oblige, son humour corrosif et faussement méchant, façon « café serré ». Alors peut-il encore nous surprendre? La réponse est oui. Pour trois raisons : son texte, en apparence désinvolte, a été façonné pour un acteur, Alexandre Trocki- un talent hors norme -qui se l’approprie et nous en fait cadeau. La direction d’acteur de David Strosberg peaufine en douceur la partition. Et la scéno de Marie Szernovicz, surprenante, traversée par les lumières d’Harry Cole, nous plonge dans un brouillard existentiel et un océan de pensées menaçantes et drôles à la fois.
Un ado à problèmes.
Au fait ? C’est la confession (joliment troussée) d’un enfant des années 80, né dans une famille bourgeoise qui, à force de la protéger, l’étouffe dans la musique baroque, Bach et le Reine Elisabeth ! Rien de bien grave sinon qu’en classe… c’est pire. Ce solitaire très intempestif, moqué de tous, a pour tout ami un gamin assez répugnant, encore plus faible que lui. Comme si don Quichotte avait envie d’embrocher un Sancho Panza, collant et nul. Voilà les prémisses d’une situation « intenable ». Gunzig nous fait entrer dans la jungle d’une classe où l’apprentissage du rapport de force est rude. Qu’à cela ne tienne : reste l’humour à la fois « vengeur » et libérateur. Par accumulation de détails comiques, de descriptions hilarantes de situations…pas drôles du tout, le texte de Thomas, multiplié par l’intelligence corporelle et visuelle de son interprète, fait mouche à tout coup et nous entraîne dans son délire.
Papa Bruce (Lee) au secours !
Le sommet (parfois un peu trop « érudit »!) de cette folie: la découverte des « romans de chevalerie » modernes…les films de série B empruntés à une vidéothèque proche. De Bruce Lee à Charles Bronson, de Massacre à la tronçonneuse à Cannibal Holocaust, on voit se dessiner dans l’imaginaire du gamin à binocles un formidable paradis artificiel où le sexe et la violence se relaient pour lui construire une consistance mentale…imaginaire. Car à l’épreuve des faits, évidemment, les recettes de la force …filmique ne jouent pas. Notre « héros de papier et d’images » n’aura pas le pouvoir magique de rassembler sa classe ou de conquérir sa Dulcinée …semi-vietnamienne! Ca ne le mènera pas non plus à un vrai massacre, de style drame de Colombine. Tout juste à une revanche par l’écriture, qu’Alexandre Trocki nous offre sur un plateau noyé de brume, avec un don inouï de présence comique. Il transcende par son interprétation magistrale un texte qui doit à Bach et à la musique baroque plus qu’il ne croit : un jeu sur la répétition que seul un tout grand acteur peut tourner, à ce point, à son avantage.
« Et avec sa… plume il frappe »: on (sou)rit d’abord, on réfléchit ensuite. Un des très bons moments théâtraux de cette saison.
Et avec sa queue il frappe, de Thomas Gunzig, m.e.s David Strosberg.
Théâtre les Tanneurs, jusqu’au 15/02 Info www.lestanneurs.be
Christian Jade (RTBF.be).
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