« Funérailles d’hiver » (Hanokh Levin). Mariage ou enterrement ? Une danse macabre hilarante. ***
Peut-on rire de tout ? Sans aucun doute répond le dramaturge israélien Hanokh Levin dont la riche matière théâtrale (52 pièces au compteur) mêle le sublime et le grotesque, l’instinct de vie et l’instinct de mort, le rire et les larmes. Le respect sacré des rites sociaux (mariage et enterrement) en prend un coup et Levin balaie toutes les hypocrisies autour de l’amour et du respect des morts. Dérangeant ? Oui. C’est l’un des buts du théâtre qui peut soit conforter nos habitudes dans un ronron sympathique soit casser la baraque avec le sarcasme comme maître mot.
Michael Delaunoy avoue avoir subi un « véritable choc » en découvrant l’œuvre de Levin après sa mort en 1999, en clôture du XXè siècle. « Contaminé par le virus Levin » dit-il « mes chances de guérison s’avèrent nulles. Pour mon plus grand bonheur« . Et le nôtre. Grâce à une mise en scène qui épouse cette folie narrative, donne vie à ces personnages forts et/ou fragiles et transforme ce cabaret satirique proche du vaudeville en une épopée comique où la philosophie et les mauvais sentiments font bon ménage en un cocktail détonant.
– © Alessia Contu
Enterrement ou mariage ? Un match poursuite désopilant entre un solitaire intempestif et une famille rocambolesque.
Soit un vieux garçon de 40 ans, Latshek, réfugié dans les jupes de sa mère, laquelle meurt la veille du mariage de sa cousine, Vélvétsia dont il fut amoureux, en vain. Dans la tradition juive l’enterrement doit avoir lieu très vite, le lendemain, soit le jour des noces de sa cousine avec 400 invités annoncés et 800 …poulets : le couronnement d’une vie sociale. Entre Latshek qui poursuit sa tante pour qu’elle soit présente à l’enterrement (ce qui ferait capoter le mariage), et Shratzia, la tante, cheffe de clan et mère de la mariée, s’engage alors un match poursuite en plusieurs épisodes pour éviter « l’annonce officielle » de la mort. Absurde ? Oui mais tout le charme est là ! D’abord une longue scène de « sourde oreille » où Latshek frappe en vain à la porte de sa tante. Derrière la « porte cercueil » fermée, la comédie humaine de la « Famille(faussement) unie » bat son plein. Puis s’organise une fuite des clans de la mariée et de son fiancé vers une plage désolée d’hiver et une échappée encore plus folle sur les pentes de… l’Himalaya. La logique du rêve se poursuit par un atterrissage sur un toit en pente de Jérusalem et une ballade au cimetière où resurgit Latshek pourtant assassiné dans l’Himalaya par la mère du marié ! Au mariage qui a finalement lieu, un mystérieux « masque », en fait Latshek, fait la cour à une belle jeune fille mais démasqué, il retourne tristement enterrer seul sa mère le lendemain, rendu à sa solitude. Tous ces destins finissent dans l’insignifiance .Il n’y a pas l’ombre d’un espoir sur la condition humaine dans la pièce : les mariés sont décrits comme médiocres, par leur propres beaux-parents, Latshek le héros « positif » est un pauvre mec qui finit par assister au mariage plutôt qu’à l’enterrement de sa mère. L’ange de la mort, personnage accessoire mais « musicien » omniprésent emporte qui il veut – les deux pères des fiancés, puis un malheureux jogger qui essaie de prolonger sa vie- mais une des mères lui résiste. Significative, cette force des « mères » , de la fiancée comme du fiancé, incarnées avec une méchanceté ravageuse par Muriel Legrand, alternant mauvaise foi et bonne conscience et Catherine Salée, reine du cynisme et de la vanne grossière. Et donc du rire, sardonique, qui donne sa couleur et son rythme à cette « farce burlesque avec chansons ». En zombie filial le comédien suisse Robert Bouvier donne une consistance sobre à un personnage faible, ballotté, victime. Et l’ange de la mort (Franck Michaux) dans l’une des scènes les plus scato-métaphysiques de la pièce fait « évaporer » l’âme du père de la mariée par une succession de pets qui nous plongent dans une grossièreté à la Rabelais ! Drôle pour les uns, dont je suis, insupportable pour d’autres.
Un cabaret philosophique bien enlevé.
Michael Delaunoy, aidé par le duo Muriel Legrand/ Lee Maddeford pour la musique et les chansons et par Clément Thirion pour la chorégraphie transforme cette œuvre obsessionnelle (obliger de manière répétitive un groupe à saborder un mariage par un enterrement) en un music-hall grinçant et rythmé. Le passage rapide d’un grand nombre de lieux disparates se fait en douceur tout comme les invraisemblables morts et renaissances de certains personnages qui donnent une allure fantomatique à une action hautement irréaliste. La drôlerie de l’ensemble naît souvent de ce contraste entre réalisme et fantaisie, rêve et réalité.
Au total une belle réussite pour ce projet belgo-suisse risqué, entre Michael Delaunoy, directeur du Rideau de Bruxelles et Robert Bouvier, directeur du Théâtre du Passage à Neufchâtel (Suisse) qui engendrera un deuxième projet , mis en scène par le Suisse, la prochaine fois.
» Funérailles d’hiver » d’Hanokh Levin, m.e.s de Michael Delaunoy au Rideau de Bruxelles, en errance au C.C Jacques Frank jusqu’au 23 janvier.
Christian Jade (RTBF .be)
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