Jeune théâtre en action : quêtes d’identité, voyage d’initiation, nostalgie, humour.
Ca cogne …en douceur au Poche mais aussi au Théâtre de Liège et aux Riches Claires où la porte est grande ouverte à de jeunes projets bourrés d’interrogations, graves et drôles à la fois. De petits cadeaux aux spectateurs.
«J’habite un pays fantôme». Qui suis-je ?***
Pour Kenan Görgün, acteur et auteur belgo-turc » Le monde est un village où mon village n’est plus… Je dessinerai, jusqu’à mon dernier souffle, mon pays ; cette contrée imaginaire née de la dépossession, qui sera tous les pays et qui ne sera que mien. » Sur scène, il vit sa double culture, le thé ou le raki, la tradition ou la modernité sous le regard sévère d’un père statufié. Double culture et double incarnation : l’auteur, moderne, dialogue avec « son » acteur, traditionnel, sobrement incarné par Otman Moumen. Vivre ici ou retourner en Turquie ? Accepter le mariage traditionnel ou le vivre à la belge ? Obéir aux lois du clan ou les rejeter ? On sent bien que le dédoublement est une feinte de Görgün pour se poser à lui-même et à son public, sur le registre de l’humour, ses propres interrogations existentielles. Thèse, antithèse, synthèse ? Le pèlerinage final au village sera-t-il, ou pas, la clé du problème ? Chacun est-il libre de choisir ou condamné à l’errance du fantôme ? Auteur, acteur et public peuvent poursuivre le dialogue à l’infini. La forme est courte mais efficace, sous la direction de Daniel Simon. Et les deux acteurs, Kenan Görgün et Othman Moumen d’un naturel convaincant.
Au Théâtre de Liège jusqu’au 22 janvier. http://theatredeliege.be/
« On the road…A » de et par Roda. Une drôle de jonglerie sur l’identité musulmane.***
Roda dans – © Catherine Tabard
Alors que Kenan joue plutôt sur le dialogue philosophique, Mohammed Fawaz, dit « Roda » adopte la forme du stand up comique pour raconter sa vie et celle de ses 3 copains de classe, tous Mohammed et obligés de changer de prénom pour se différencier aux yeux de leurs profs et copains. L’un choisit Dorothée, icône gay ! Lui ce sera Mimo, aux consonances italiennes, pour mieux entrer, croit-il, dans les lieux à la mode sans se faire refouler comme « muslim ». Ce n’est qu’une anecdote parmi 30 autres sur le thème : » comment peut-on être musulman ? »(Lettres persanes pas mortes). Ou plutôt : comment échapper au regard des autres, comment ne plus « paraître » musulman, sans se renier ? Le changement de nom est fondamental mais les changements de temps et de lieux sont le vrai fil conducteur du spectacle. De l’enfance au Roda actuel. Avec un père absent qui fait des apparitions téléphoniques hilarantes : c’est le leitmotiv du show. On suit donc le gamin, l’ado, le parcours scolaire calamiteux jusqu’au hasard de la vocation théâtrale, un morceau d’anthologie. On le suit aussi de continent en continent au gré de ses identités multiples : né au Maroc, d’un père… libanais, mais vivant, gosse, avec sa mère en Guinée. La nostalgie d’Afrique est savoureuse et touchant le pèlerinage final au Sud Liban à la recherche du père. Mais ces « déguisements de nationalité » deviennent dans le show des prétextes à sourire de l’essentiel : comment échapper à son type racial et religieux, ici, en Belgique ? Ou le faire accepter, tout simplement ? Le tout avec une légèreté et un humour qui passent très bien la rampe. Eric De Staerke, metteur en scène et Angelo Bison, » regard amical » ne sont pas étrangers à cette belle réussite.
Jusqu’au 31 janvier aux Riches-Claires. http://lesrichesclaires.be/
«Bonjour, on est un tsunami»: une performance d’acteur sur l’éternel adolescent.***
Baptiste Toutlemonde dans – © Arthur Oudar
C’est le genre de spectacle qui fait l’unanimité : jeunes, vieux, ados, parents, tout le monde s’y trouve ou s’y retrouve. En toile de fond une vieille « deuche » sympa, symbole de voyage à bon marché et d’émancipation. 4 gaillards cassent leurs cochon/tirelire pour fuir les parents, voyager et apprendre la vie. La vie, l’amitié, les tensions au sein du groupe, l’amour, la mort aussi. Rien de bien original sauf que les 4 gaillards sont incarnés par un seul, Baptiste Toutlemonde, un jeune virtuose qui passe d’un rôle à l’autre avec une aisance stupéfiante. A l’écriture son copain du Sud de la France … et de l’Insas, Arthur Oudar en un récit quasi autobiographique des 2 potes à mi chemin entre écriture de scène et jeu du corps et de la voix. Conçu au départ pour le » jeune public « , remarqué au Festival de Huy 2013, il fait les délices des adultes, jeunes et vieux du Théâtre de Poche. C’est que Baptiste Toutlemonde est du genre » vif argent » et utilise toutes ses facettes d’acteur et d’athlète pour nous entraîner dans son monde avec une vitalité où la drôlerie zappe sur la vitesse d’exécution. Une performance éblouissante baignant dans les lumières subtiles d’Amélie Gélin. Le trio Toutlemonde-Oudar-Géhin, à peine sorti de l’Insas a déjà travaillé pour de grandes pointures, Isabelle Pousseur, Armel Roussel, Salvatore Calcagno. Et ça se sent.
Au Théâtre de Poche jusqu’au 23 janvier. http://poche.be/spectacle/bonjouronestuntsunami
Christian Jade (RTBF.be)
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