• Théâtre  • KFDA 2016. Carnets de route/2. Taupes françaises et fantômes japonais.

KFDA 2016. Carnets de route/2. Taupes françaises et fantômes japonais.

« La Nuit des taupes » de Philippe Quesne devait être  « LE  » spectacle emblématique du KFDA 2016. Sa thématique, le retrait dans une caverne pour mieux  nous rendre compte du monde qui nous entoure, avec illustration du mythe platonicien de la caverne avait, a priori,  « de la gueule ». A l’épreuve des faits on peut plutôt parler d’un spectacle « casse-gueule » qui tient peu de ses promesses.

 

 On a assisté à une sorte de « work in progress » pas encore au point, où de grosses taupes maladroites démolissent un habitacle de carton-pâte pour élargir leur espace et s’exercer à descendre un plan incliné, comme au jardin d’enfants. On les voit faire l’amour, accoucher et manger des vers de terre en forme d’énormes chipolatas. Cette scène-là est assez drôle et pourrait donner le ton d’une épopée burlesque. Mais le fil conducteur, volontairement lâche, prend plaisir à nous laisser dans des  » trous « narratifs. Alors on accroche surtout grâce à une musique dynamique, jouée en partie « live » par des taupes aux ongles habiles. Et grâce à la scénographie et aux lumières qui font éclater doucement quelques bonnes surprises visuelles. Quant au mythe de la caverne il est confus, inopérant, principalement illustré par le combat de deux des taupes en ombres chinoises qui se servent des stalactites/mites de la caverne comme armes de guerre. Pas aperçu, personnellement, la  » tentative de protection et de résistance  » ni la fable sur la  » possibilité  de creuser des passages vers le fondement des choses « . Donc premier degré inégal, fragile et deuxième inconsistant, d’ailleurs murmuré à partir de grognements de taupes lassants. Le spectacle, qui tourne 2 ans dans le monde entier, aura le temps de s’élaguer. Question  » performance  » physique, on a beaucoup compati aux souffrances des acteurs enfermés plus d’une 1H30 dans leur énorme peau.

Prochain rendez-vous du 19 au 28 mai aux Brigittines transformées en « caveland« . Des artistes de grand niveau (Pieter Debuysser, Markus Horn, l’Ensemble Ictus, entre autres) produisent chaque jour une activité sur le thème de la caverne orchestrée par Philippe Quesne. Curieux bienvenus.

« Time’s journey through a room « (Toshiki Okada) : survivre au désastre. Une épure forte.

Izumi Aoyagi, Mari Ando et Yo Yoshida dans

Izumi Aoyagi, Mari Ando et Yo Yoshida dans – © Elke Van den Ende

Les grands spectacles sont ceux qui survivent à leur vision « live ». Qui entrent en vous discrètement, par effraction, parfois au prix d’un rude effort de concentration.. Toshiki Okada, dans  » Time’s journey through a room  » nous frappe d’abord par son austérité : une jeune femme nous demande de fermer les yeux quelques secondes, une invitation à vivre de l’intérieur ce qui va nous être proposé. Un homme, de dos, survivant au désastre de Fukushima, subit des « vagues » de souvenirs douloureux, ou d’espoirs fragiles, comme mu par un instinct de (sur)vie. On devine seulement son malaise à de légers mouvements de ses jambes. Deux femmes, presque immobiles, incarnent, vivantes ou mortes, réelles ou fantomatiques, ces états d’âme apparemment contradictoires. L’une est morte, peu après la catastrophe, mais y a puisé un paradoxal optimisme en l’avenir. L’autre va pénétrer l’espace du « veuf » pour transmettre et appliquer cette leçon de survie. Un bref instant on peut croire à un affrontement, classique, de deux femmes pour un homme. Petit à petit on les ressent comme une continuité de l’optimisme face à la catastrophe. La scénographie aide à insinuer le message: des lumières éclatent, rarement en force, ici et là, illuminations douces. Un tourniquet au sol signale le passage du temps. La défunte se drape dans un rideau, sensuelle, avant l’arrivée de la vivante. Le bleu pastel de la défunte s’oppose au jaune vif de la vivante. La musique insinue des gammes subtiles. En sortant j’étais ému alors que des spectateurs étaient restés en marge. J’ai compris petit à petit une des sources de mon émotion : à l’âge de 4 ans j’ai aidé ma mère, fauchée par un bombardement, à se traîner vers des secours. Amputée d’une jambe, elle  a toujours, à 95 ans, le même appétit de vivre. Le spectacle d’Okada est une fable universelle sur l’optimisme vital, à l’usage des survivants. Valable pour tous les naufragés d’un drame. Un peu trop « minimaliste » pour un esprit occidental ? J’y ai repensé deux fois en trois jours : en regardant à la télévision le témoignage incroyable d’un jeune Syrien qui s’est entraîné de longs mois pour rejoindre, en 7 heures de nage, au bord de la mort, la côte grecque. La folie sublime de l’instinct de vie. Et en contemplant un soliste américain d’origine asiatique, Larry Weng, « peindre » en douceur, sans emphase du corps, les Miroirs de Ravel en demi-finales du Reine Elisabeth! Une intériorité expressive, concentrée, à l’image du spectacle de Toshiki Okada. Une « zen attitude » dont je suis incapable mais qui me séduit en profondeur.

Time’s journey through a room de Toshiki Okada

 Encore visible au Beursschouwburg les 11 et 12 mai à 20H30

Info : fr http://www.kfda.be/fr

 

Christian Jade (RTBF.be)

 

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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