‘L’abdication’ une tragédie’ de William Cliff, ou Léopold III en majesté. Poésie et polémique.
Une polémique historique.
S’il est un sujet qui a fâché la Belgique, et qui est toujours à moitié digéré, c’est bien le comportement du Roi Léopold III pendant la guerre 40-45. La séparation du Roi et de son gouvernement, parti en exil en France puis à Londres et leurs dures retrouvailles en 1945 ont failli faire éclater le pays. A-t-il collaboré avec les Allemands ? Ou est-il resté en Belgique pour partager les souffrances de son peuple et protéger ses soldats prisonniers ? Pourquoi avoir accepté une entrevue avec Hitler, en novembre 1940, qui ne lui a rien concédé ? Pourquoi a-t-il épousé, avec la bénédiction de l’Eglise, une belle roturière alors que les femmes de prisonniers se morfondaient dans l’attente d’un retour problématique de leur époux ? Pourquoi, surtout, a-t-il pris l’initiative de » gouverner « , en imposant une capitulation de l’Armée sans être couvert par son gouvernement ? Enfin d’avoir été emmené en otage par les Allemands n’a pas vraiment arrangé son auréole pour une partie de l’opinion publique. Ces polémiques ont abouti, en 1950, à un référendum montrant la division profonde de l’opinion publique entre Flamands, approuvant son retour sur le trône à 72%, Wallons et Bruxellois le rejetant (à 58 et 52%). Au total 58% favorables à son retour. Mais la mort de 3 manifestants, tués par la gendarmerie à Grâce-Berleur en 1950 entraîne l’abdication au profit de son fils Baudouin. Les petits cahiers du Poème 2 proposent un beau dossier historique de 45 pages basé, notamment sur » Léopold III, du prince charmant au roi maudit « , de Vincent Dujardin, Michel Dumoulin et Mark Van Den Wijngaert (2003, éd André Versailles). Un ‘ contrepoint’ à la pièce, qui veut oublier les querelles et présenter ‘un roi sans tache’.Un parti pris.
Un poème royal.
Critique:*** ou °.
(Selon qu’on supporte, ou non, le conte de fées royal et sa belle mise en forme/mise en scène)
‘Abdication’, ‘poème royal’ en alexandrins, est conçu comme un hommage à un roi symbolisant l’unité de la Belgique pour son auteur, William Cliff, un de nos plus grands poètes vivants, Prix Goncourt de Poésie 2015 pour l’ensemble de son œuvre. Il se base sur les mémoires d’un des principaux conseillers du Roi, le général Van Overstraeten, personnage historique controversé, surnommé le Vice-roi.
Gamin, j’ai vécu ces tensions fortement : mes copains flamands d’en face et moi placardions nos fenêtres de propagande pro et anti-Léopold. Mais on jouait aussi ensemble au foot sur le trottoir, sans croc en jambe ! Le paradoxe belge !
J’ai donc assisté à un éloge tranquille d’un ‘ennemi d’enfance’. Avec, en cours de route, 2 réactions internes contradictoires que beaucoup éprouveront. Si vous n’acceptez pas d’être pris à rebrousse poil de vos convictions et d’entrer dans le rêve de William qui postule » un roi sans tache « , alors vous n’entrerez pas dans le ‘jeu’ proposé. J’ai parfois bloqué. Si, passé le premier rejet, vous admettez que cette histoire est plus poétique que politique, que ce roi rêvé est une image d’Epinal, certes, mais que les poètes ont le droit de fantasmer, d’enjoliver ou de démolir, selon leur fantaisie, alors vous passerez un bon moment.
Car théâtralement, ça tient la route, comme l’histoire d’une curieuse amitié. Entre un Roi relativement fragile, hésitant dans sa bonne/mauvaise foi et ses certitudes et un conseiller, raide dans son uniforme/cuirasse. Alternant les conseils plus ou moins contradictoires et les élans du cœur, culminant dans le final. On y voit le roi endormi, hors jeu, sur son petit trône/tabouret, bercé par la profession de foi de Cliff/Van Overstraeten à sa personne et à sa royale fonction. Cliff, présent, dit d’ailleurs lui-même, maladroitement, le prologue où il justifie son portrait subjectif. Le récit en courtes scènes épouse la chronologie, la débâcle, les rapports avec le gouvernement, l’entrevue avec Hitler, etc..et pour la bataille de Stalingrad, capitale, les acteurs se » dépersonnalisent » pour devenir de simples récitants, presque clownesques de la défaite allemande.
La mise en scène de Benoît Blampain, remarquable d’évidence, parvient à dépouiller le jeu de toute emphase, malgré un alexandrin qui y porte et qui est bien respecté. Le » ténor » Julien Coene à la voix un peu fragile, proche paraît-il de l’original, donne pas mal d’ambiguïté à ce roi autoritaire dont le » trône » se limite à un petit tabouret ! Et Dominique Rongvaux, » baryton « , empesé dans son uniforme, surgit toujours d’une porte presque imaginaire, symbolisant la distance, sous l’apparente complicité. Enfin la scénographie, simple et juste de Roberto Balza, avec un plafond à surprises et la musique de…Julien Coene donnent à l’ensemble une belle cohérence et presqu’un charme qui m’a personnellement permis d’avaler quelques couleuvres…historiques ! A voir avec une distance » brechtienne » pour tenir à distance ce curieux fantôme du passé.
‘L’Abdication’, une tragédie de William Cliff.
A voir au théâtre Poème 2, jusqu’au 26 mars.
Christian Jade (RTBF.be)
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