» L’Intruse » de Maeterlinck. Un superbe tableau. Un ton juste. Une jeune découverte prometteuse. A voir d’urgence.***
Un étrange Maeterlinck, l’Intruse insinue l’angoisse de mort dans une scénographie aussi belle qu’inquiétante. Ca se passe dans un lieu de répétition peu connu du grand public, le Carthago (delenda est), non loin de la Raffinerie du Plan K.
« L’Intruse« , de Maeterlinck, c’est le volet le moins joué d’un triptyque sur la mort, dont le célèbre « Les Aveugles« d’après Breughel l’Ancien. S’attaquer à cette tragédie symboliste où les mots sont rares et les silences très présents est un fameux défi relevé avec une belle maîtrise par le jeune Emmanuel Texeraud et une équipe soudée, dans un bel unisson.
Le thème est simplissime : une famille attend dans l’angoisse les résultats d’un accouchement difficile. La mère n’a pas repris connaissance et le nouveau-né n’a pas crié. Pour seuls repères, l’aïeul, l’oncle, le père et la sœur n’ont que des « bruits » que leur imagination amplifie. L’Intruse, la Mort a-t-elle ou non pénétré dans la maison ? Et comment ? Le texte, minimaliste, comme toujours chez Maeterlinck, ne joue pas sur le réalisme mais l’imaginaire symbolique. Pour « traduire » cette angoisse de la mort il faut donc créer un climat qui donne une résonance à la parole.
Un théâtre inspiré du cinéma…sans vidéo : une performance
Dans « Pelléas et Mélisande » la musique de Debussy insinue ce climat. Dans son adaptation des Aveugles le Canadien Denis Marleau y parvenait en …supprimant les acteurs, remplacés par des robots inquiétants. Ici les sources d’inspiration d’Emmanuel Texeraud sont multiples. Maeterlinck lui-même dont un extrait de la Vie des Abeilles, dans un préambule inquiétant, donne une portée collective au drame qu’il annonce. La conclusion élargit le propos par un extrait des Serres chaudes.
Mais l’essentiel du charme et la magie de l’ensemble proviennent du climat visuel très cinématographique…sans vidéo, le comble de l’art ! Une sorte de climat à la Lynch, mais très stylisé rendu possible par l’habilité conjuguée d’un vieux routier, Didier Payen à la scéno et une « jeune pousse », Caspar Langhoff pour la lumière. La multiplicité des plans ballade l’œil. Avant plan pour le préambule « abeilles », arrière plan pour la partie la plus « réaliste » où les 4 membres de la famille échangent furtivement autour d’une table. Le passage à l’avant plan de certains protagonistes les transforme en ombres fugaces. Enfin un énorme plan large nous donne l’impression de vivre un film à l’espace « ’infini ». Un tableau en mouvement ou un film au ralenti : joli mélange des genres. Avec le silence pour rythme ! Les lumières creusent ou dilatent cette atmosphère pesante de clairs-obscurs qui sillonnent la toile et prolongent les rares paroles.
Enfin une brochette d’acteurs d’une belle cohérence nous insinuent ce texte rare : Jean Debefve, l’aïeul, Philippe Grand’Henry , l’Oncle, Gaétan Lejeune, le père et Aline Mahaux, la sœur forment une équipe tellement unie qu’ils sont inséparables dans l’éloge !. Au total, une belle direction d’acteurs, et un projet cohérent pour un texte « casse-gueule »: l’ambition d’Emmanuel Texeraud mérite un solide coup de chapeau. Et surtout un coup de main de tous ceux qui soutiennent financièrement des projets audacieux. Maeterlinck est toujours un auteur… belge… d’avant-garde…pour les metteurs en scène d’origine… française. Maeterlinck, notre unique Prix Nobel belge de littérature (1911), il y a un siècle, qui s’en souvient ?
L’Intruse, de Maeterlinck, m.e.s Emmanuel Texeraud, au » Carthago delenda est «
(Rue Sylvain Denayer 51, 1070 Anderlecht. Téléphone :02 521 03 51). http://www.carthago-bxl.org/).
Ce soir vendredi 5 et samedi 6 février
Christian Jade (RTBF.be)
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