• Théâtre  • « L’Or du Rhin ». Les tableaux cruels de Romeo Castellucci illuminent la malédiction de l’anneau d’une beauté fulgurante.

« L’Or du Rhin ». Les tableaux cruels de Romeo Castellucci illuminent la malédiction de l’anneau d’une beauté fulgurante.

Les mises en scène de Romeo Castellucci, dans leur radicalité assumée, font parfois polémique, comme à la Monnaie en 2018 une « Flûte enchantée » où le maestro substituait son univers esthétique et philosophique puissant et fascinant aux « lumières » mozartiennes. Rien de tel avec Wagner dont l’univers tragique et la révolution musicale l’enchantent. Son seul reproche, exprimé dans le programme : Wagner possédait toutes les qualités à l’exception de la scénographie et de la mise en scène. En réalité c’est toute l’esthétique du XIXè siècle romantique qui déplait à Castellucci. Et sa mise en scène de l’Or du Rhin est un chef d’œuvre d’intelligence, de ravissement esthétique et de sensibilité en profondeur.

L’intelligence surgit dès avant le fameux prologue en mi-bémol majeur, magistralement exécuté par un orchestre de la Monnaie dirigé par un éminent wagnérien, Alain Altinoglu. Un immense anneau d’or tombe des cintres sur scène, une chute sonorisée qui installe un malaise initial. Mais ce grand cercle, concret et symbolique, sera un fil conducteur récurrent, un « leitmotiv visuel » reliant les points forts du récit dramatique. Le maître des dieux Wotan et son complice Loge, le maître du feu, soumettront le nain Alberich, porteur de l’anneau au supplice de la roue/anneau pour lui extorquer son or dont la cargaison sera projetée au mur en forme de cercle doré. Enfin au lieu de monter triomphalement dans leur domaine, le Walhalla, les dieux chutent rituellement dans un immense cercle au sol les ramenant sous terre et annonçant la chute…finale du Crépuscule. Systématique ? Non symbolique, surgissant au bon moment, et sous des formes dramatiques et esthétiques émouvantes.

Dès la première scène, surgissant de la pénombre, les filles du Rhin à la peau d’or, moqueuses, doublées par des danseuses agiles contrastent avec le nain Alberich cloué à une poutrelle et dont le désir bafoué le pousse à renoncer à l’amour, à voler l’or et à fabriquer l’anneau du pouvoir total. Le Rhin ? Une trombe d’eau surgie des cintres dans un délire de lumière. A la deuxième scène Wotan et sa femme Fricka trébuchent sur un étonnant fleuve de corps nus alors qu’ils s’affrontent sur le sort de Freia, otage sexuel de deux géants Fasolt et Fafner qui construisent leur Walhalla.

On est donc constamment dans la surprise visuelle et dans la clarté du récit wagnérien, dépouillé de ses artifices d’époque comme la transformation du nain Alberich en serpent ou en crapaud. La scène de torture à distance du Nibelung complètement nu sur la roue de l’anneau est inoubliable car elle change la perspective classique sur ce nain, monstre de laideur et donc de méchanceté, clairement victime des dieux Wotan et Loge. Romeo Castellucci, sans rien changer au texte, par la simple magie de ses images et sa direction d’acteurs au cordeau nous plonge pendant deux heures trente dans un bonheur complet.

A la tête d’un orchestre de la Monnaie très concentré, Alain Altinoglu brille par sa clarté, sa précision, son intime compréhension de l’œuvre et son attention constante aux chanteurs, parfois cachés dans les coulisses. Marie-Nicole Lemieux interprète une Fricka à la colère contenue et à la voix d’alto grave et souple. Le Wotan de Gabor Bretz séduit par la beauté de son timbre et son complice Nicky Spence par l’incroyable souplesse de sa voix et le cynisme tranquille du personnage. Scott Hendricks en Alberich nous a bluffé par sa puissance d’incarnation, vocale et dramatique. 

On attend avec impatience la même équipe dans la Walkyrie dès janvier prochain

L’Or du Rhin (Richard Wagner), mise en scène de Romeo Castellucci, direction musicale d’Alain Altinoglu à la Monnaie, jusqu’au 9 novembre. Sold out.

Diffusion sur Auvio et Musiq3 le mardi 31 octobre, à 19h30

Scott Hendricks, et Gábor Bretz – L’Or du Rhin par Romeo Castellucci (© Monika Rittershaus)

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène, décors, costumes, éclairages Romeo Castellucci

Wotan Gábor Bretz
Loge Nicky Spence
Fricka Marie-Nicole Lemieux
Alberich Scott Hendrickx
Fasolt Ante Jerkunica
Fafner Wilhelm Schwinghammer

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