M.Morales et A.Parolin aux Brigittines. Deux corps sculptés par le son et la lumière. Jouissif. ***
L’une, Marielle Morales, joue sur un corps concentré, pris par le son et la lumière, en une cérémonie lente. L’autre, Ayelen Parolin, joue son corps dans l’espace, d’abord grotesque, gonflé, enrobé puis presque nu, exposé aux vagues d’un piano agressif. Deux univers chorégraphiques en miroir, où l’humour et la poésie se répondent.
« En effet » (Marielle Morales). Un noir de noir sonore ***
Dans le noir profond initial une forme féminine se déplace lentement, recueillant progressivement des reflets qui mettent en lumière un corps sculptural et les re-plis de sa robe. A la fin ce corps allongé se glissera doucement dans une sorte de catafalque noir. Entretemps une fresque se déploie dans un espace elliptique où se meut la danseuse suivie de près, » façon travelling « , par le créateur de lumières et de son Michiel Soete. Bombardée de sons concrets évoquant le quotidien (ville), la nature (mer, tonnerre), le corps (battements de cœur, frottements de peau) ou l’univers (trous noirs) la statue humaine parcourt l’ellipse de l’univers autour de laquelle sont disposés les spectateurs. Même si elle emprunte parfois ses mouvements à la break danse pour plier son corps à sa guise, le ralenti fréquent oblige à réfléchir au tableau en train de se faire plutôt que l’élan dionysiaque où s’engouffrer. Elle est à l’écoute de son corps et pourtant le tient à distance comme un objet expérimental de réflexion de la lumière et de réflexion sur le corps. Une expérience scientifique en somme mais avec la théâtralité chorégraphiée du corps en mouvement et le charme sensuel de sa présence très picturale. Ambitieux, séduisant et non dépourvu d’humour.
Marielle Morales nous avait déjà fasciné dans » Rushing Stillness » meilleur spectacle de danse aux Prix de la critique 2016. Cette Française de Bordeaux passée par Paris (Alain Gonotey), Madrid (Cie Provizional Danza de Carmen Werner), Barcelone (Cie Sol Pico) débarque en Belgique chez Pierre Droulers, puis découvre comme danseuse les univers de Thierry De Mey, Michèle Noiret et Fré Werbrouk Tout en pratiquant le buto et la break danse. Quand elle met en scène elle-même « Ce qui m’intéresse, dit-elle, c’est la densité du corps, l’image du corps sur scène et pas le mouvement pour le mouvement… Less is more : c’est ma nouvelle ligne de travail, c’est le seul moyen de laisser la place au spectateur de faire sa propre histoire, place pour l’imaginaire. «
Cette belle ambition énoncée à propos de « Rushing Stillness » irrigue aussi « En effet » premier volet d’une recherche sur le son et la danse Au spectateur de faire son miel de cette ruche bourdonnante de propositions à la fois rigoureuses et savoureuses.
« Wherever The Music Takes You ». Ayelen Parolin et Léa Petra. Agressif et drôle ***
Lea Petra et Ayelen Parolin dans – © Hoffmann
Le point de départ est le même que chez Marielle Morales : comment un corps réagit-il à l’agression sonore ? Mais Ayelen Parolin et sa complice Léa Petra sont aussi directes, extériorisées et « rentre-dedans » que Marielle Morales est méditative, intériorisée et métaphorique. Belle idée de Patrick Bonté de les confronter la même soirée.
Voici donc Ayelen, méconnaissable transformée en une sorte de Bibendum femelle tout blanc, gros « faux-cul, faux ventre, faux seins » et visage enfariné : un personnage de carnaval, baroque, sautillant, trépidant, subissant l’énergie folle du piano de Léa. On est dans le déluge sonore, l’avalanche de touches tantôt accordées, tantôt désaccordées selon une logique qui nous échappe. C’est jazzy mais on sent l’improvisation très maîtrisée par une Léa très attentive aux contorsions de plaisir parfois comiques dans leur excès d’Ayelen. Les rondeurs caricaturales, comme une danse du ventre parodiée, nous entraînent dans un joyeux excès de bonne humeur, une folle liberté, un jeu avec l’imprévisible. Une deuxième partie un rien plus calme voit Ayelen se dépouiller de sa combinaison à protubérances pour redevenir son propre corps, mince, « nature » mais en dialogue intensif, sensuel avec un piano toujours aussi vibrant. Léa et Ayelen sont complices depuis 2014 et « Hérétiques » mais jamais de manière aussi frontale, dans un exercice d’agressivité inventive et de plaisir partagé très communicatif. Oh ! le beau pugilat !
« En effet » (Marielle Morales) et « Wherever The Music Takes You II ». Ayelen Parolin et Léa Petra.
A la Chapelle des Brigittines jusqu’au 2 mars.
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