« Reflets d’un banquet » : Platon réécrit (par Pauline d’Ollone) pour le bonheur du théâtre ****
Cet été déjà, à Avignon, Alain Badiou nous avait proposé chaque jour une lecture délicieuse d’amateurs locaux, encadrés par des professionnels, d’extraits de la République de Platon, théâtralisés par Badiou lui-même. Et pleins d’anachronisme contemporains savoureux. Un joli exercice de réflexion sur la démocratie…actuelle.
La jeune Pauline d’Ollone, actrice, violoniste et metteuse en scène travaille depuis deux ans à l’adaptation de l’autre œuvre majeure de l’Athénien. Pour donner vie à six personnages du Banquet en quête d’amour (ou plutôt d’un éloge/définition de l’amour) elle procède ainsi : « Je pars d’un texte millénaire, où j’invite des personnages d’aujourd’hui, comme si le spectateur se levait de sa chaise pour interroger les Anciens .Je multiplie les anachronismes, je transgresse les frontières. Je le fais avec conscience, avec joie et de façon décidée ».
Et le résultat ?
Un café philosophique ?
Le Théâtre de la Vie est transformé en une petite « arène » de 40 places, avec vue sur le bar et la rue. La scéno mélange délibérément l’ancien, l’arène et l’actuel, le bar familier. On est ici, chez nous. Un clin d’œil à la mode du « café philosophique »? Les protagonistes du Banquet se livrent bien à un concours d’éloquence sur le thème de l’amour mais leurs monologues sont incarnés, se transforment parfois en dialogues et pas seulement avec Socrate. Il n’est pas un maître omniprésent mais désiré, attendu comme arbitre et même comme amoureux dans ce débat. On sent les « couples » à l’intérieur des échanges verbaux et le besoin de séduction général. Enfin le personnage de Diotime, la prophétesse inspirée, seulement « citée » par Socrate dans le Platon d’origine, est un vrai « personnage », s’opposant à Socrate. Elle est incarnée, avec quelle verve, par une Anne-Marie Loop au sommet de sa forme. Anne-Marie incarne en outre une joueuse de flûte mais surtout un personnage contemporain qui lui va comme un gant : le » Contradicteur » .L’occasion de « philosopher » avec notre époque sur d’autres notions que l’amour, la « race » par exemple. Résolument actuel.
Amour, musique et rythme : une distribution à l’unisson de la partition.
Philippe Grand’Henry et Anne-Marie Loop dans – © Marie Aurore
Dans ce dialogue sur les formes d’amour grec antique, donc vantant l’homosexualité, Diotime incarne un éloge du corps féminin car » la procréation constitue la part d’éternité et d’immortalité qui est accessible au mortel. Or l’engendrement n’est possible que dans la beauté « . La beauté est centrale dans le débat: beauté du corps masculin, « céleste », préféré à la relation « populaire » d’un homme et d’une femme. Beauté de la pensée qui nous élève. L’amour est-il un dieu ou un démon, intermédiaire entre l’homme et les dieux ? D’où vient ce manque, au centre de l’amour ? Sommes-nous des « androgynes » que Zeus a séparés pour nous obliger à retrouver l’âme sœur ? Ces thèmes philosophiques passent d’autant mieux que la « traduction » de Platon par la metteuse en scène vise l’oralité et la musicalité des mots plus que la compréhension des concepts. « J’ai cherché, dit elle une efficacité orale, …que les mots soient percutants…que chacun ait une façon particulière de parler…Le texte…écrit à voix haute… a été conçu comme une partition musicale. »
Et ça se sent que les acteurs, tous à l’unisson, ont un plaisir immense à le porter vers nous ce beau texte à la fois subtil et drôle, fait de dialectique et de jouissance. Habités par les mots et la musique, discrète, les acteurs, forment un très beau groupe choral face aux solos et duos qui se succèdent en souplesse. Philippe Grand-Henry, Socrate à l’écoute plus qu’en majesté, Anne-Marie Loop, multiforme et inspirée ont à leurs côtés de lumineux complices, Jérémie Siska et Achille Ridolfi et deux jeunes pousses prometteuses, Pierange Buondelmonte et Adrien Drumel.
Ce spectacle, vraie « découverte », adaptable à tous les lieux, moyennant un élargissement de son « arène », mériterait de tourner dans de nombreux lieux de Bruxelles et de Wallonie. Bravo au Théâtre de la Vie d’avoir engagé 6 acteurs de qualité, une année où le « seul en scène » s’est multiplié, pour raisons budgétaires.
Reflets d’un banquet, d’après Platon, m.e.s de Pauline d’Ollone au Théâtre de la Vie jusqu’au 1é décembre.
Christian Jade(RTBF.be)
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