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Solitude, Deuil, Vide intérieur. Fabrice Murgia, esthète sensible

AVIGNON 2014.Depuis Le Chagrin des ogres, Fabrice Murgia nous avait habitué à une virtuosité formelle pour décrire les désarrois de jeunes pris au piège de réseaux sociaux. Dans Notre peur de n’être, il élargit le propos et tape «juste»: un vrai triomphe pour la première du 21 juillet à Avignon.

 

Critique:****

Je ne suis pas adepte du « cocorico belge ». Mais faut bien avouer que cette année, à deux ou trois exceptions près, les grands chocs sont venus de trois Belges, Ivo Van Hove dans Fountainhead, Josse de Pauw dans Huis, d’après Ghelderode (voir critique sur ce blog) et ce sacré Fabrice Murgia. Du haut de ses trente ans, il est le jeune espoir qui s’impose, comme l’an dernier, dans un registre tout différent, Julien Gosselin adaptant Les Particule élémentaires

Fabrice nous avait un peu inquiété dans ses déclarations liminaires, en insistant sur ses deux sources d’inspiration, les hikkimoris japonais, ces jeunes qui refusent tout contact avec les humains, parents inclus, et qui s’enferment dans la bulle internet. Et l’hommage appuyé au philosophe Michel Serres qui prophétise que les nouvelles technologies vont entraîner une nouvelle mutation du cerveau !

On craignait donc une répétition du Chagrin des Ogres, renforcée par les « théories » de Michel Serres. Or si l’on retrouve bien un « autiste », de type hikkimori il est étrangement « actif », progressivement, dans le maniement de la caméra et sa mère, à mesure que progresse le récit a un rôle dominant, dans l’interprétation fougueuse d’Ariane Rousseau. C’est que les personnages centraux, un veuf livré à son désarroi (douloureux Nicolas Buysse), une étudiante en recherche d’emploi (une jeune révélation française, Clara Bonnet, qui joue plusieurs rôles) et le hikkimori (convaincant Anthony Foladore) passent de la phase « obligation de soi »-un repli sur soi- à une phase d’expansion, « le besoin de l’autre ». Esthétiquement aussi, on bascule: d’abord un monde feutré, protégé par un rideau de scène qui ne laisse apparaître que des petites cellules de vie, comme des tableaux intimistes. Brusquement une grande ouverture: le voile se déchire et on passe du virtuel rêvé au grand monde réel, dangereux, amplifié par des projections, « live » ou non, des personnages sur le plateau ou dans la ville. Alors les acteurs se déplient, occupent l’espace élargi et le rôle des narratrices (remarquable Magali Pinglaut) s’estompe- à mesure que l’action et l’image se font plus dynamiques. Le deuil, la solitude, le vide intérieur ne sont pas des fatalités.

En cinq ans la palette, technique et verbale de Fabrice Murgia a gagné en ampleur et virtuosité. Il faut dire qu’il peut compter sur deux acteurs et quatre actrices à la choralité parfaite, voix, corps, capacité à affronter la caméra et à en jouer eux-mêmes. Une équipe soudée qui fait passer, chose rare, un peu d’optimisme dans le monde souvent circulaire et fermé de Fabrice Murgia. Avec, de plus en plus clairement cette envie de cinéma. La prochaine aventure ?

Notre peur de n’être, Fabrice Murgia à Avignon u 27 juillet.

Bruxelles, Théâtre National, du 7 au 16 octobre-

-Puis, de novembre à mars, à Tournai, Mons, Liège, Charleroi, Namur et même Anvers.

(NB : autre jeune révélation… française, Thomas Jolly, qui propose depuis hier un Henry VI de Shakespeare en 18H ! de 10H du matin à 4h du matin le lendemain :pas vu mais bon accueil de la presse française. Et qui passera à deux pas de la frontière belge, à Béthune, Arras et Dunkerke).

Christian Jade (RTBF.be)

Cet article est également disponible sur www.rtbf.be

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